Bénin: le LMD en question à Bohicon

Publié le par Ascension BOGNIAHO

Introduction

Juin 2010, la Présidence de la République du Bénin signe le décret qui adopte de système Licence-master-Doctorat (LMD) dans l'enseignement supérieur du pays. Depuis lors, les universités, les écoles et les instituts publics comme privés se sont mis à pied d'oeuvre et ont traduit dans leurs pratiques formatives l'application du LMD. Néanmoins, tout n'est pas rose sur le terrain car cette pratique varie d'une institution à une autre à cause de plusieurs raisons. Là où la pratique a créé des gênes et des vexations, les bénéficiaires se sont dressés et ont récriminé contre le système au point de susciter un blocage de tout ou partie de l'appareil formatif. Cette situation a poussé le ministère en charge de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique à organiser à Bohicon, du 12 au 16 septembre 2016, un séminaire-atelier d'évaluation de la pratique du système LMD au Bénin. Quel bilan peut-on faire de ces assises? N'ayant pas été le rapporteur général de la rencontre, je me permets de livrer à la réflexion les grandes lignes du forum.

 

1. La méconnaissance du système LMD par la majorité des acteurs

Je fus un participant à ce séminaire en qualité de personne ressource. Le premier constat est que les textes qui balisent le système n'ont pas changé; ils apparaissent comme des acquis scientifiques importants pour le pays. Ils demeurent en outre les mêmes que ceux recommandés par le CAMES. D'où vient alors le mal s'ils ne sont pas critiqués et rejetés ou transformés? Il vient du fait très regrettable que les enseignants, qu'ils soient du public ou du privé, ne les connaissent pas, pour ne les avoir pas lus et internalisés. Ils oublient qu'on ne peut pas décemment appliquer un système dans l'ignorance de ses standards, et c'est donc le deuxième constat. Le troisième montre que les étudiants eux aussi ignorent les aspects élémentaires du système qui gère leur formation. Il s'en suit des affirmations gratuites et erronées, des comportements insolites et inexplicables. Enfin, un quatrième constat dévoile l'existence d'une frange d'enseignants ayant fait leur formation dans le système et à l'étranger; ils croient qu'ils le connaissent et prennent des positions dogmatiques sur des questions importantes déjà réglées convenablement par les textes existants. Attitude regrettable s'il en est qui pousse tout le monde dans l'erreur préjudiciable aux étudiants. Voilà donc la série des constats. Ils représentent un grief de taille à l'encontre de beaucoup de gestionnaires béninois du système.

 

2. La légitimité de la session de rattrapage 

Une autre révélation du séminaire est que la faculté, source du marasme qui a conduit à l'année blanche, n'a pas prévu une session de rattrapage dans son règlement pédagogique, ce qui est un grave manquement à la gestion du LMD. A la vérité, et je l'ai dit à maintes reprises, le système prévoit deux sessions par semestre, ce qui en fait quatre par année. Lors de l'expérimentation de la semestrialisation qui a précédé le basculement, le décideur a constaté qu'il était fastidieux, onéreux et harassant d'organiser deux sessions par semestre dans les facultés de formation classique à gros effectifs. Il en a préconisé la session de rattrapage qui regrouperait les deuxièmes sessions irréalisées des deux semestres de l'année. Le toilettage du règlement pédagogique lacunaire devrait permettre d'insérer dans un nouveau document l'obligation réelle d'organiser au profit des étudiants une session de rattrapage. Ce ne sera que justice.

 

3. Le LMD et les structures de formation à gros effectifs

L'un des slogans agité par un groupe de participants au cours du séminaire refusait l'application du système LMD dans les grands groupes. Certes, les petits groupes constituent un idéal pour la réussite du système. Mais à chaque pays son LMD pourvu que le système appliqué respecte entièrement les standards internationaux du LMD afin de faciliter la mobilité pour les étudiants béninois. Comment gérer les grands groupes ou gros effectifs?

Je l'ai dit au cours du séminaire. En inspectant l'offre de formation, on remarque des rubriques dans la table de spécification. Elle se décline en cours magistraux (CM), en travaux dirigés (TD), travaux pratiques (TP) et en travail personnel de l’étudiant (TPE). Un enseignant peut bel et bien recevoir 4 à 5.000 étudiants dans un cours magistral. Mais pour les TD, il faut prévoir beaucoup d'enseignants ou de moniteurs. Ils devront approfondir avec de petits groupes de 50 à 100 étudiants des aspects pointus du cours magistral. J'ai fait ma formation universitaire dans une telle organisation. Le professeur titulaire de la chair fait son cours magistral, les autres enseignants de la même discipline ou UE s'adjoignent à lui pour faire les TD ou TP. Pour ce faire, les enseignants d'un même département devront se constituer d'abord en une équipe pédagogique large, puis en des équipes pédagogiques plus restreints où chacun doit taire son ego pour laisser place à la collégialité et aux exigences du travail de groupe. Cela laisse entendre qu'il faut un responsable d'UE, conducteur incontournable et des adjuvants qui n'en sont pas moins des professeurs. Ce raisonnement oblige au recrutement sur poste de beaucoup d'enseignants du supérieur, à la reconnaissance des grades dans leurs hiérarchie, à la construction d'infrastructures et leur dotation en équipements, à l'autonomie des universités et centres universitaires en énergie électrique et, enfin, à la fiabilité d'Internet sur ces sites. On peut bel et bien pratiquer le LMD dans de gros effectifs et cela doit se faire dans notre pays. Il s'agira pour le ministère en charge de l'enseignement supérieur de faire un plaidoyer en direction du gouvernement, car le développement d'un pays est tributaire de la qualité des ressources humaines qui s'y investissent.

 

4. Un répertoire des métiers, base préalable de l'élaboration de l'offre de formation

L'autre problème important est l'inadéquation de la formation et de l'emploi. Cette question peut être résolue par un inventaire national des métiers existants et des métiers à venir dans les huit domaines élus par le REESAO. Disposant d'une telle nomenclature ou d'un pareil répertoire, les équipes pédagogiques devront proposer des parcours de formation qui prennent en compte les débouchés permettant ainsi au pays de disposer de cadres ou de techniciens dans tous les secteurs. Il est mauvais d'élaborer une offre de formation sans y envisager des débouchés palpables: le LMD vise la professionnalisation et l'employabilité. Sur ce volet, si des formateurs font défaut dans un secteur important de l'Offre de formation, les séminaristes ont accepté, du bout des lèvres, bien entendu, que l'on recrute des étrangers ou des Béninois de la diaspora. Ils ne viendront pas en donneurs de leçons, mais comme des citoyens aux compétences avérées, qui se mettent volontairement au service de leur pays; une telle démarche est à étudier avec minutie afin de la mettre à l'abri des improvisations désastreuses dont nous sommes coutumiers dans le pays.

 

5. Elaboration d'un emploi du temps relaxe

Une autre question, sur laquelle le séminaire est passé subrepticement comme si elle n'avait pas son importance dans la gestion du système, est l'élaboration des emplois du temps. J'ai entendu des discours étonnants qui démontrent que l'on prend cet aspect à la légère. Quand un emploi du temps programme dans une même journée plus de huit heures de cours magistraux, le système court droit à l'échec des apprenants. Ne voit-on pas le ridicule de la programmation d'un cours magistral de 15 heures sur une journée ou une journée et demie? Les étudiants en sortent vannés, inutilisables et incapables de vaquer à leur TPE. Tout cours est sécable en de petites tranches horaires éparses dans le semestre; celles-ci produisent la diversité, l'intérêt et le délassement: relaxe comme disent les étudiants eux-mêmes.

 

6. Des masters anarchiques

Le séminaire s'est inquiété de la flopée des masters sur les campus. On en crée à brassées sans s'informer de l'existant d'à côté. Quels mobiles peuvent autoriser une telle anarchie? La première cause indexée par les participants est, dans une moindre mesure, l'appât du gain. Vient en second lieu le désir de paraître et d'être compté pour le plus grand enseignant de la structure et, enfin, une très haute idée de l'enseignant pour sa matière, considérée parfois comme la discipline la  plus recherchée et la plus en vue. Ce sont-là des erreurs manifestes d'approche du LMD.

Aucun enseignant n'est le plus important une fois pris en charge par l'équipe académique et pédagogique dirigeante de la formation. Certes, un master peut voire doit porter le nom et la qualité d'un directeur de notoriété scientifique, mais ce n'est ni sa matière ni le grade dont il détient exclusivement la signature. Dans les pays bien organisés sur cet aspect de la question, une fois qu'un secteur d'employabilité est déterminé et avéré, que le besoin d'acteurs performants s'y exprime fortement ou que les prévisions formatives l'autorisent, plusieurs universités du pays, plusieurs centres de formation d'une même zone géographique s'agglomèrent dans une collaboration académique et scientifique pour gérer et faire prospérer le master afférent à une option choisie. Parfois, la principale activité économique  d'une région peut pousser à créer un master, et tous les centres universitaires peuvent y participer: c'est l'expression du principe d'harmonisation avec son corollaire de mutualisation cher au LMD. Dans un pays comme le Bénin, où des centaines de miliers de familles peinent à faire un repas par jour, il n'est pas concevable que l'on continue d'obérer les charges en formation des jeunes issus de zones rurales à fort taux d'indigence, surtout dans un contexte aussi criant d'une inique redistribution des revenus nationaux. Le séminaire a demandé que soient recensés tous les masters existants afin de les canaliser par un regroupement. Nanmoins, les commanditaires du séminaire n'ont pas vraiment prêté attention à ce point, obnubilés qu'ils étaient par la validation de résultats précuits.

 

7. Appellation inadéquate d'un régime de formation au sein du LMD

On peut faire une autre remarque gênante. Un arrêté signé a été proposé pour amendement par la plénière. On y décèle un mélange grave de genres. L'arrêté institue la formation initiale et la formation continue. L'équivoque dangereuse et proche de la confusion réside dans la compréhension de l'adjectif ''continue''. De l'entendement général, à moins que les concepts aient totalement changé entre temps, la formation continue s'adresse à des gens nantis déjà d'une formation initiale et qui se remettent sur les bancs, soit à leur propre initiative soit à celle de leur entreprise, afin de se recapaciter. Elle peut aussi s'adresser à des personnes d'un certain âge; elles jouissent parfois d'une bonne retraite après avoir épuisé réglementairement leur temps social  d'activités productives, et décident de continuer à se former pour être utiles à elles-mêmes ou sur d'autres fronts. Cette formation diplômante ou non s'identifie comme une formation tout au long de la vie. Le cas envisagé dans l'arrêté désigne l'un des régimes de formation en LMD: le régime de la flexibilité. Nous devrions faire attention à nos écrits et décisions dans un système notoirement connu.

 

8. La gratuité de l'enseignement supérieur en question

Enfin, comme je ne suis pas le rapporteur général de la rencontre, je livre à la lecture, l'examen d'un point sensible soulevé par le séminaire: la gratuité de la formation dans l'enseignement supérieur. Beaucoup de séminaristes ont récriminé contre cette disposition de la formation dans les facultés classiques. Ils ont proposé qu'elle soit supprimée et que le taux d'inscription soit aligné sur celui de beaucoup de pays de la sous-région, soit 50.000 francs. Chacun de nous a son point vue sur la question, mais j'estime que nulle part au monde, du moins pour ce que je connais, personne ne fait les études supérieures gratuitement. En effet, certains pays donnent des allocations aux études, d'autres accordent, par l'intermédiaire de structures de financements ad hoc, des prêts pour les études, remboursables dès la première 'insertion professionnelle des bénéficiaires. Les étudiants payent leurs frais d'écolage et de formation sur ces mises.  On devrait y penser en évitant de brandir à chaque fois le critère de pauvreté des parents des zones rurales.

 

Conclusion

Il est ressorti des échanges et des débats un diagnostic relativement sans complaisance de la pratique du LMD au Bénin. Je n'en ai livré que quelques aspects saillants avec ma modeste analyse de  connaisseur du système.Il revient aux organisateurs de revisiter le rapport général et ceux des travaux en ateliers afin d'en extraire les points importants à insérer dans un pragramme d'actions centré autour de l'information, la formation, le recrutement, la construction, l'équipement, l'autonimie de l'énergie électrique des universités et centres,

la fiabilté d'internet sur les campus. De plus, ce séminaire devrait se poursuivre en de petits travaux de conception sectorielle et d'explications-commentaires afin de clarifier des points peu ou prou maîtrisés des standards du LMD, et en des actions de lobbying auprès du gouvernement pour le financement renforcé du système Licence-Master-Doctorat au Bénin.

 

 

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