Éducation et développement au Bénin

Publié le par Ascension BOGNIAHO

Introduction

Il est un truisme qui fait de l'éducation le fer de lance du développement. Au Bénin, on n'en a pas vraiment conscience, et tout ce qui se fait dans ce secteur de la vie sociale s'apparente à un gâchis des intelligences  dont le pays aura besoin pour son développement.

Le sous-développement, la misère et la déliquescence morale du Bénin proviennent de l'avachissement et du bradage de l'éducation. 

En effet, le secteur éducatif national avance en roues libres, sans contrôle ni objectifs. Miné par le laxisme, l'amateurisme et l'affairisme, il a troqué les visées nobles de son essence contre le saupoudrage. L'éducation, qui naguère servait à former des citoyens conscients de leur être, de leur appartenance, patriotes-cultivés, travaillant pour le bien de leur pays et celui de leurs concitoyens, intègres, humanistes et ouverts sur le monde, peuple, de nos jours, le pays de cadres d'un âge nouveau, égocentriques, peu dévoués aux causes pressantes du pays et, de surcroît, se percevant comme les nombrils de la nation. 

Les offres de formation des différents ordres d'enseignement ne répondent que peu aux véritables injonctions de l'éducation d'un pays à vocation agricole et à l'économie essentiellement fiscale. Et comme dans un cercle infernal et vicieux, l'État lui-même a démissionné de son véritable rôle de propriétaire du secteur, en en confiant ainsi la tutelle à des fonctionnaires qu'il sait n'être pas à la hauteur de la tâche. Si l'on ajoute à ces constats une absence criante de volonté politique, négligeant la formation des formateurs, la prime à l'intelligence et à l'assiduité au travail à travers l'attribution de réelles allocations aux études, le refus délibéré de l'amélioration des conditions de vie et de travail des enseignants et, enfin, le souverain mépris pour la construction et l'équipement des installations scolaires, la misère du secteur culmine à l'intolérable et blesse la sensibilité. L'invariant discours dont on rabâche les oreilles des faibles d'esprit, célèbre du bout des lèvres la formation technique comme le carburant par excellence de la croissance et de l'émergence, de quelques mots, leur panacée. On l'agite comme un passage obligé, le joug inévitable du développement du pays. Des arguments-massus, enrobés dans la comparaison avec les pays industrialisés, clouent le bec aux éventuels débatteurs enclins à nuancer le dogme, comme si ces pays-là se sont développés uniquement par la technologie.

Et même si c'en était le cas, voulez-vous former des techniciens sans avoir des usines où ils peuvent faire des stages pendant leur formation; l'État béninois ne possède pas une seule usine viable,  pas une ferme agricole,  pas un seul périmètre d'expérimentation. Le paysage économique et industriel du pays est basé sur l'import/export. Les opérateurs économiques locaux ne connaissent que ce concept-là. Ils ne fabriquent presque rien, ils importent seulement pour reexporter vers les pays limitrophes dans le meilleur des cas. Il est donc difficile pour les structures de formation de trouver des lieux de stage pour leurs apprenants. De sorte que les périodes de stage insérées dans les programmes restent des vœux pieux. Dans certains cas, on impose à l'apprenant de trouver son propre lieu de stage. Comment veut-on fabriquer des techniciens dans ces conditions ?

 La solution aurait été que des citoyens nantis créent des entreprises, des usines de production. Beaucoup d'entre ces fortunés sont des politiciens; ne leur parlez pas d'investissement dans les structures de production. Ces riches préfèrent amasser des fortunes pour acheter les votes en temps opportun  que de créer des entreprises. La politique pour eux est une affaire rentable et développer son pays par la création de pôles d'emploi relève des chimères et de l'aventurisme. Aussi, cultivent-ils le clientélisme politique et électoral plus rentable. On ne peut les en blâmer. Car la famille et la malveillance sévissent par des coups bas, des torpilles occultes pour faire péricliter toute entreprise qui donnerait une certaine forme de visibilité à un entrepreneur indigène. Tout le monde a peur. La chasse aux gens de biens est si forte que ceux d'entre eux qui s'entêtent à poursuivre des activités en vue subissent des redressements fiscaux qui en obligent certains à mettre la clef sous le paillasson. Un pareil climat délétère installe irrémédiablement une certaine forme d'individualisme exacerbée. L'individu béninois ne connait que lui et sa famille, se préoccupe peu de ses concitoyens et du développement du pays.   

 Il en résulte qu'il ne s'empêche pas de détourner les biens publics pour une jouissance personnelle et celle de sa famille. En effet, le Béninois nourrit deux dadas: la politique et le fonctionnariat. La politique fait son homme, le hisse au sommet de la société. Tout le monde y court, sans distinction de classe d'âge ni de niveau intellectuel. Ce qui y intéresse est le gain facile, les honneurs et les clients. Elle élève ceux qui s'y adonnent en fanions de réussite sociale, des modèles indiqués aux enfants. Tout le monde rêve d'être un jour ministre ou député. Parvenu à ces postes, on pourra s'offrir de belles maisons, des voitures huppées et plastronner dans le pays :son développement importe ju peu. 
De son côté, le fonctionnariat est lune des meilleures récompenses  que la vie puisse offrir à un homme. Tout parent mise sur le recrutement de son enfant en lenvoyant dans une formation. Au terme de celle- ci, on fait des pieds et des mains pour le placer dans cette masse des travailleurs aux revenus assurés à la fin de chaque mois et à la garantie dune pension de retraite. Cette mentalité est si ancrée que des parents demandent à leurs enfants de choisir des formations de courtes durées afin de vite terminer et dêtre rentables. Parfois, ils nhésitent  pas à intervenir auprès des formateurs pour améliorer des résultats mitigés de leur progéniture. Dès lors, le népotisme, le tribalisme sinstallent à lécole et en biaisent le plus souvent les résultats. Témoins  de la pratique des coups de pousse, devant le plus souvent leur réussite à ce stratagème, des apprenants eux-mêmes sy investissent, poussent le toupet à aborder leurs formateurs pour négocier. Si cela leur marche dans les classes intermédiaires, aux examens nationaux par contre, ils échouent en grand nombre. L'absence dune autre alternative aux échecs répétés du même individu le jette dans la rue pour gonfler la population des sans emploi, candidat à la misère. Elle fait les petits boulots, déverse son aigreur sur ceux de ses camarades qui ont eu la chance de réussir quelque peu : réussir au Bénin représente, dans certains cas, une hypothèque sur la vie. 

S'il y avait des établissements de formation technique en nombre suffisant, ces jeunes ne se livreraient pas très tôt à des jobs sans lendemain. Certes on compte çà et là  Pobè, Bohicon, Sékou, Cotonou, etc.  des collèges et lycées d'enseignement technique et quelques IUT(EPAC, Lokossa, Abomey, Kétou, etc.) qui sont loin de satisfaire le besoin, si ces unités de formation ne délivrent pas des compétences dont la nation na pas besoin. Il est bien de former des mécaniciens-automobiles des deux types essence et diésel; mais où ils iront-ils travailler? Si les quelques concessionnaires de la place ne les recrutent pas, ils s'installeront seuls dans un coin de la ville et subiront la rude concurrence de garagistes ayant appris leur métier de façon traditionnelle, sur le tas. Leurs compagnons du secteur froid (réfrigérateur, climatiseur, chambre froide, etc.) vivement une situation similaire, et rendue dramatique par la présence des expatriés français et libanais qui font flèche de tout bois pour leur arracher les marchés d'installation et d'entretien. Comment voulez-vous que les jeunes aient le courage de sinscrire dans ces secteurs techniques. Voyez ce que font les Chinois installés en grand nombre dans le pays. Ils y viennent avec leurs techniciens et leurs éboueurs, leurs cuisiniers,  leurs maçons et que sait-on encore. Tout est fait pour broyer le jeune nanti de la formation technique de mauvais aloi avec le secteur de lemploi. Il erre parfois à la recherché dun emploi qu'il a sous le nez mais qui est déjà occupé par un devancier formé sur le tas ou par un expatrié. Certains d'entre eux se jettent à corps perdu dans le transport urbain de motos appelé <zémidjan> ou dans l'ébouage ou la collecte des ordures ménagères.
Le tableau se présenterait autrement, si l'État avait joué son rôle de créateur d'unités de production et l'école, le sien, qui consiste à inculquer aux jeunes la culture de l'entrepreneuriat. Pour le faire, elle doit, à tous les niveaux du système, enseigner le vivre ensemble, la mise en commun des ressources et des forces pour construire une existence viable pour soi et les autres. 

Le Béninois aime à entreprendre seul, pour réussir seul afin d'illustrer son nom : c'est lui et pas quelqu'un d'autre. C'est pourquoi il a tendance à saboter l'œuvre qu'il accomplit et dans laquelle il ne sera pas reconnu comme l'unique auteur. Le propos peut paraître exagéré et caricatural, mais il est vrai, dune prégnance indiscutable dans la réalité: s'associer pour gagner ensemble n'est pas le fort du Béninois. Et pourtant, il faudra passer par là, car sans ressources de sous-sol, sans produits de rente, il ne reste à ce pays que les impôts, le sol  et la force de sa jeunesse : c'est sa richesse, et avec elle, il émergera à moins de vouloir être éternellement à la traîne.

Et si le pays  tenait mordicus à se développer par la technique, personne n'est à même de lui contester cette volonté, mais il lui faudra changer son système éducatif, l'arrimer sur des valeurs endogènes où on retrouvera les potentiels de développement et les forces développantes. Le tout interpelle deux facteurs: les richesses du sol pour l'agriculture et les populations, surtout celles des jeunes en formation. La refonte du système doit tenir compte de l'employabilité des jeunes, de leurs aptitudes à vivre ensemble et de leur créativité. Devenant terreau et socle du développement, la jeunesse en tension vers la croissance et le bien-être incitera l'État à créer des unités de productions. Il y arrivera en s'appuyant sur les universités à travers leurs structures de recherche. Quel est cet État qui ne commande jamais de recherches, qui n'en finance que très faiblement? Bon an mal an, il dépense quelques pauvres millions dans ce sous-secteur et n'en réclame même pas les résultats. L'école devrait pouvoir fournir les clefs de l'exploitation des sols du pays, les cultures à y implanter et celles de leur transformation locale. Elle le peut bien si on le lui demandait. Mais le faire serait couper l'herbe sous les pieds des magnats financiers qui ne pourront plus avoir le monopole des filières du coton et de l'anacarde, celles du bois de teck et de l'ananas. Même dans ces filières, les Chinois dament le pignon aux autochtones avides de gains et de richesses.

Au demeurant, la gestion cahoteuse actuelle du système éducatif ne permettra jamais au Bénin de créer des compétences innovantes. Il est ridicule de penser que seule la technologie pourra aider au développement,  la technologie sans les sciences sociales, les arts et les lettres  mènera le pays à un fiasco retentissant.  Ce qu'il faut dans l'immédiat,  c'est la formation d'un nouveau type de Béninois,  aimant sa patrie et ses concitoyens,  généreux pour son pays et dévoués,  aimant l'équité,  travailleurs, patriotes et respectueux du bien commun. Ce type ne peut naître que dans et par l'école dont le système doit être revu de fond en comble. L'éducation est, de l'entendement général, le socle de tout développement. Au Bénin, elle est minée par la ventocratie et la démission nationale qui ont laissé des lobbys étrangers d'asservissement venir installer des programmes, dont  l'APC,  le calvaire de la descente aux enfers du pays, entamée depuis les inerties éducatives de la période révolutionnaire. Pour corriger cette faiblesse,  il faut des patriotes instruits et cultivés, connaissant les différents systèmes de formation et les approches d'enseignement et d'apprentissage. Ils choisiront pour le pays un système et des méthodes en adéquation avec les cultures nationales, espaces inaliénables de l'acquisition d'un savoir pluriel fécondé. L'on sentirait le fagot et manquerait le coche en inscrivant une pareille unité de réflexion dans une messe dispendieuse et burlesque comme celle des États généraux de l'éducation, mais on fera plutôt une œuvre de sauvetage du pays en confiant cette tâche à des intellectuels responsables et patriotes. Le pays en possède-t-il encore?

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