L’arbitraire de la justice endogène au Bénin

Publié le par Akotêgnon Gbêdékounnou Ascension BOGNIAHO

Résumé

1  La justice locale endogène au Bénin est arbitraire. Elle ne donne aucune chance à l'accusé. Son sort est scellé par contumace.

Introduction

2  Sous certains angles, l'occultisme tue au Bénin plus qu'une guerre civile. Le tort en est imputable à l'absence de tolérance, d'amour véritable et à celle du manque de dialogue. Beaucoup de situations conflictuelles se règlent par le gri-gri. La justice locale endogène qui fonctionne parallèlement à celle moderne se veut expéditive et vengeresse. Cependant, toutes les formes de justice ont leur faiblesse.

La parole dénature le dit judiciaire

3  En effet, malgré les apparences d'une recherche forcenée de la vérité, toute justice revêt un caractère relativement arbitraire. Cela peut paraître à tout le moins paradoxal de vouloir d’une chose et de ne trouver que son contraire. C’est là les limites de l’esprit humain. Ni l’arsenal des lois, ni le train impressionnant  des codes, ni davantage la flopée des jurisprudences ne parviennent à protéger la justice des entorses à elle-même et prévenir les torts aux justiciables. Dans de nombreux cas de figure, les tribunaux, les juges, les avocats s’abritent derrière la conscience d’avoir, à chaque fois, dit le droit. Et c’est là où le bât blesse. Le dit judiciaire est truffé d’approximations à cause du moyen qu’il emprunte pour être, la parole.

4 L'acception collective de la parole reconnaît son caractère divin par convention, par une loi tacite de confiance. L’on accepte la parole d'autrui faute de faire autrement, la société l’ayant établie comme empreinte d’une vérité relative, en dehors de quoi, il n’y aurait pas d’échanges entre les êtres humains. Or, rien n’est plus faux, plus trompeur que la parole. Il suffit d’en entrevoir la définition comme une appropriation individuelle de la langue. C’est dire que, se saisissant de la langue, l’individu utilise le stock de mots qu’elle lui met à disposition pour exprimer sa pensée, traduire ses idées, de quelques mots, dire sa parole.

5  Cependant, l’emploi d’un mot est tout autant formation-déformation du mot qu' altération de son sens, et cela, à cause du contexte.  Un dragueur qui avoue son penchant amoureux à une femme par la phrase consacrée de « je t’aime » ne pense pas vraiment à ce que signifie l’amour, à ce qu’il implique d’acceptation mutuelle, de souffrances et de sacrifices, mais il n’envisage que les plaisirs du vivre ensemble ; il ne découvrira le vrai sens de l’amour que lorsque les deux protagonistes partageront la même existence. Ainsi, le dit judiciaire paraît-il donc erroné.

Toute justice s'abrite derrière une autorité morale

6  La justice qui condamne un meurtrier à la mort ne peut le faire qu’en s’abritant derrière une force de transcendance inattaquable ; en elle, elle légitime et exerce sa force : la légalité. Mais qu’est-ce que la légalité peut devenir une coquille vide si elle ne s’appuie pas elle-même sur une force supérieure! Caïen a tué Abel, son frère, par envie et jalousie. La. Justice divine n’a pas tué ce meurtrier mais elle a soumis sa conscience à une torture morale ; l’autorité divine justifie la validité de la peine. On peut dire avec Hobbes que L’autorité, et non la vérité, fait la loi . En matière de justice, la légalité importe plus que la légitimité, et toute loi trouve sa légitimation dans une autorité morale, en l’occurrence ici, Dieu, et dans le commun, la société. La société fait la loi, elle est au-dessus de la loi. Dès lors, aucune justice n’est arbitraire, une fois que les lois qui en font le socle sont adossées à une autorité, celle de la société. Aussi Pascal dit-il à raison, la justice est ce qui est établi et ainsi toutes les lois établies seront nécessairement tenues pour justes sans être examinées puisqu’elles sont établies. Vue ainsi, la légalité importe plus que la légitimité.

Le corps social peut abolir une loi

7  En effet, tout autorise le destinataire d’une déclaration d’amour à y croire même si elle appartiendrait au registre de la composition, la société l’y autorise en tant que l’autorité qui catalyse la convention des propositions amoureuses. Ce dialogue entre les deux légitimités, celles du courtisan et du courtisé, ne se mue pas en un affrontement mais en deux possibles dont l’un peut être un consentement et l’autre , un refus. Mais à aucun moment, sauf cas extrême, la déclaration n’est jugée inconvenante, ce sont des exceptions comme il s’en trouve dans la loi. On comprend pourquoi les lois sont animées d’une fureur brûlante contre les crimes quels qu’ils soient, du moment qu’elles s’adossent fortement à l’autorité morale de la société devant laquelle la légitimité individuelle doit s’écraser. On comprend également la démarche de abolition ou de la suppression d'une loi par le corps social lui-même, parce qu'il se sait source et garant de la loi.

Des lois de musellement naît la dictature

8 Cependant, l’iniquité d’une loi devient flagrante lorsque ses dispositions procèdent de la volonté d’un individu investi d’un certain pouvoir pour museler des secteurs entiers de la vie publique par des règles dures et musclées. De là naît la dictature ou l’arbitraire dont l’autorité chancèle à la longue : l’autorité morale de la société relève donc de l’ordre naturel tandis que celle d’un individu, du factice. La première est relativement inaliénable, la seconde, discutable voire attaquable.

L'arbitraire du jugement local endogène

9  Ce développement renvoie au jugement de Dieu ou l'ordalie au Moyen-âge où, par le feu ou l’eau, on décelait la culpabilité ou l’innocence des plaignants. Les XVIè et XVIIè siècles ont avalisé leur transformation en des combats singuliers ou duels. Quelqu'un, qui dans les faits aurait raison, pouvait se faire tuer dans un duel singulier : Dieu aura départagé les plaignants. Pourtant, ces pratiques totalement révolues sous ces cieux continuent d’exister en Afrique en général, au Bénin en particulier. 

10 En effet, deux systèmes judiciaires se jouxtent au Bénin : ce sont la justice moderne et la justice locale endogène. La justice moderne issue de la déclaration universelle des droits de l’homme règle cahin caha les nombreux cas de violation des droits humains. Elle s’appuie sur l’autorité morale de la société ou de l’État ; elle peut commettre des erreurs judiciaires qui, à la longue, se réparent pour peu que les révisions en procès s’imposent dans le cours de l’exécution de la peine et l’intervention d’éléments nouveaux à charge ou à décharge.

11  La deuxième justice, la justice endogène, plus sournoise, plus radicale et plus méchante handicape ou décime la société béninoise. Elle s’apparente parfois à un acte gratuit dans lequel quelqu’un qui se croit floué à tort ou à raison s’adresse aux bons offices d’un jeteur de sorts ou d’un charlatan pour se faire justice. Devant l’officiant, il présente une situation à son avantage et le fonctionnaire scelle le sort du mise en cause : c’est là un jugement par contumace dans lequel le plaignant décide le plus souvent du châtiment à infliger à son accusé : maladie, mort subite, infécondité, échec, revers de fortune, accidents de toutes sortes, haine publique, ostracisme, etc. le répertoire en est fourni.

12  La complexité de la problématique de ce tribunal occulte s’appuie sur un libre arbitre où le juge est partie, qui décide unilatéralement les contours du jugement. Venu avec son verdict, il requiert tout bonnement le soutien de la science de son consultant. Ce qui ne lui est jamais marchandé. Le côté mercenariat de l’officiant est qu’il ne cherche pas à dissuader son visiteur  de l’iniquité de sa démarche. Au contraire, il l’épaule comme s’il embrassait sa cause, comme s’il était la supposée victime. Ce faisant, il achève de camper l’image d’un duo de malfaisants qui, le plus souvent, tourmentent gratuitement des personnes très souvent de bonne foi.

Les peines infligées par la justice endogène 

13  Aussi, le pays est-il rempli de handicapés aux maux provoqués par un tiers. Hypertension, diabète, hémiplégie, paraplégie, maladie de Parkinson, menstrues hémorragiques, sciatique, cécité, folie, occlusion par coprolithes, diarrhée, bref, toutes les maladies peuvent être données, même les toutes récentes face auxquelles la science bégaie encore. Pendant ce temps, donner la mort reste une banalité : l’appel au suicide par auto-défénestration, par auto-pendaison ou par auto-égorgement, les accidents de toutes sortes (accidents de circulation, noyade, incendie, inhalation du sable, tchakatou, etc.) Le bilan de ce sinistre tableau informe que l’occulte, les sortilèges et la sorcellerie, tuent, dans une moindre mesure, autant qu'une guerre civile. Néanmoins, il ne serait pas juste de penser que la maladie et la mort naturelles ne tuent pas au Bénin, mais l’inquiétude qu’inspire l’autre source de mort ne peut être négligée par le nombre des victimes, une maladie étant également un prélude à la mort.

14  Si les armes crépitent dans des pays occidentaux, surtout aux États-Unis, l’occulte rampe sournoisement au Bénin, mais ne fait pas citer ses acteurs devant un tribunal : l’état moderne ne juge pas les crimes commis dans l’occulte, ils sont frappés de cette perception irrationnelle qui les soustrait au regard de la loi moderne. N’est-ce pas une façon tacite de l'admettre, de le permettre en adoptant à son égard la politique de l’autruche ?

Une illustration du jugement par contumace

15  Un groupe de cinq jeunes hommes se présente un jour chez un charlatan. Ils venaient le solliciter pour tuer l'un de leurs homologues de quartier qui subornait leurs épouses. Ils proposaient pour ce travail la rétribution de cinq cents mille francs. Face à l'hésitation de l'homme, ils montèrent les enchères à sept cents mille. Pris de colère, le nécromancien les chassa de sa maison en leur expliquant qu'il ne savait pas comment on tuait un homme; il leur enjoignit d'aller prendre soin de leur femme. Décidés à en finir avec leur cocufieur, ils allaient trouver un autre jeteur de sorts avec huit cents mille francs. Celui-ci accomplit sa sale besogne, l'accusé périt dans un accident de circulation.

Quelle est la part du charlatan dans un conflit?

16  Quelle cause défend le charlatan pour accepter de nuire aussi gravement à la vie  d'autrui, à celle d'une personne qu'il ne connaît même pas ? Quelqu’un peut-il lui appliquer une sentence identique s’il venait à vivre un cas semblable ? Voilà la faiblesse rédhibitoire de la justice endogène. Elle utilise le principe inique de l’arbitraire et ne donne aucune chance au présumé fautif, elle ignore même la présomption d’innocence : c‘est la vendetta à la béninoise. Une telle pratique ne permettra pas à ce pays de connaître le progrès, car la mentalité reste un facteur déterminant du développement social, économique et culturel d’un peuple.

17 Cependant et heureusement, là où quelqu’un effeuille ou écorce un arbre pour fabriquer des talismans nuisibles, là également un autre acteur en déterre des racines pour se défendre, se soigner ou  s’immuniser, encore faut-il qu'il en connaisse les vertus. 

Akotêgnon Gbêdékounnou Ascension BOGNIAHO

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U
Un sujet intéressant et une analyse très pertinente. <br /> C'est bien nous, Béninois. Vivre dans la perpétuelle peur que, même innocent, on n'est à l'abri de rien. Savoir que, même en absence de différend entre autrui et soi, même ne l'ayant pas offensé, il peut se servir de moyens occultes pour nous nuir.
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A
C'est le maître-mot, l'amour. Et vous avez raison de l'invoquer comme la clef de voûte des relations humaines. S'aimer, se tolérer et cultiver la différence sont là source de l'harmonie et l'épanouissement humain. Il est malsain de vivre sur le qui-vive et de bloquer sa propre évolution à cause d'autrui. Merci pour ce commentaire
U
Amen ! <br /> Mais, je rêve d'un monde ou tout au moins d'un Bénin ou encore d'une famille où seul l'amour sera chanté, où la méchanceté ne sera pas. On me dira de retourner simplement au jardin d'Eden d'avant Caïn. Mais, j'en rêve.
A
Oui! Nous sommes habités par cette perpétuelle psychose des "kintôlê". Ils sont partout, dans notre famille, dans notre propre maison, dans la rue, au boulot. Ils étouffent la vie d'autrui, l'infestent par une présence trop envahissante. On ne peut rien faire pour se concilier leur bonne grâce. Leur attitude a des noms connus de tous dont le principal est juste la méchanceté. <br /> Cependant, on vivra parmi eux! Cette note d'espoir galvanise le cœur et le gonfle de courage et de force.<br /> Merci pour votre commentaire
U
Un sujet intéressant et une analyse très pertinente. <br /> C'est bien nous, Béninois. Vivre dans la perpétuelle peur que, même innocent, on n'est à l'abri de rien. Savoir que, même en absence de différend entre autrui et soi, même ne l'ayant pas offensé, il peut se servir de moyens occultes pour nous nuir.
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Un sujet intéressant et une analyse très pertinente. <br /> C'est bien nous, Béninois. Vivre dans la perpétuelle peur que, même innocent, on n'est à l'abri de rien. Savoir que, même en absence de différend entre autrui et soi, même ne l'ayant pas offensé, il peut se servir de moyens occultes pour nous nuir.
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Un sujet intéressant et une analyse très pertinente. <br /> C'est bien nous, Béninois. Vivre dans la perpétuelle peur que, même innocent, on n'est à l'abri de rien. Savoir que, même en absence de différend entre autrui et soi, même ne l'ayant pas offensé, il peut se servir de moyens occultes pour nous nuir.
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Un sujet intéressant et une analyse très pertinente. <br /> C'est bien nous, Béninois. Vivre dans la perpétuelle peur que, même innocent, on n'est à l'abri de rien. Savoir que, même en absence de différend entre autrui et soi, même ne l'ayant pas offensé, il peut se servir de moyens occultes pour nous nuir.
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A
Sujet intéressant et analyse pertinente, Monsieur le Prof
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A
En relisant votre commentaire, je découvre son côté sceptique. Toutes les sciences sont anthropologie, car l'homme est au centre de tout. Vouloir nier la pression manichéenne de l'homme dans la vie de l'homme relève d'une vision un peu édulcorée de l'homme. L'homme peut nuire à son semblable par un acte gratuit. Si ce trait de notre mentalité est ambiant, c'est qu'il existe. Quel est la faute du martyr que l'on fait passer à la guillotine ou au feu? Ne meurt-il pas? N'est-il pas innocent ?
A
Je partage votre avis. Mais je continue de croire qu'il faut toujours continuer à lutter car "lanthropologie de l'infortune" est tout aussi trop présente dans notre culture. En d'autres termes "quand je réussis, c'est moi, mais lorsque j'échoue, c'est d'office l'autre"... Ne donnons-nous pas trop d'importance à l'autre destructeur?
A
Je partage ce regard qui amende le texte. Mais les cas de homêvonon sauvés ne sont pas légion. De plus votre analyse condamne en filigrane l'accusé alors celui de presse d'aller se plaindre n'est pas celui qui a toujours raison. Dites-moi quel tort est celui ci a relativement réussi sa vie pour que le jaloux s'en prenne à lui? Père Mathieu, pourquoi ne peut-on pas utiliser le dialogue dans cette société de la parole?
A
Vous avez écrit in box ce qui suit en commentaire : <Le homèvonon ne meurt pas dit-on en fon. C'est cela que j'ai compris: la sentence advient à la suite de la seule version du plaignant (par contumace). Mais, il me semble que l'efficacité de la sentence sur l'accusé (dans bien des cas) dépend de l'innocence ou non du mis en cause. Le terme fon "homèvonon" (lit. = celui qui a le ventre vide) dit que le vodoun ne "mange" que celui qui est vraiment coupable et donc épargne le "homèvonon". Il est épargné non pas en amont (verdict) mais en aval (execution du verdict/vengeance du vodoun). Ma conclusion: la justice endogène est arbitraire non pas à l'arrivée mais au départ. Conséquence: l'innocent est tjrs protégé en dernier resort....
A
Si vous le trouvez. Voyez un peu ce qui passe. Quelqu'un se dit escroqué ou floué. Au lieu de porter plainte à la justice ou à une instance locale villageoise ou du quartier, il recours à l'aide d'un charlatan pour se faire justice. Combien de personnes souffrent de maladies chroniques où sont mortes de cette pratique. N'est-il pas temps que notre pays pense à moraliser ce secteur? Le Nikon envoûteur a-t-il raison de faire ce sale boulot alors qu'il 'n'est concerné par le problème. Cette justice dépeuplé de façon sournoise le pays.