Le musée
Mots clefs: Bénin, musée, art, formation, emploi, le passé
Every museum protects the past for the benefit of the people. It is therefore wrong to think that a museum is useless in a country. It is also a provider of jobs.
Keywords: Benin, museum, art, training, employment, the past
PRÉAMBULE
1. Au cours d’un enseignement de littérature africaine, j’avais comparé la réalité de la littérature orale à un musée vivant. Je ne m’imaginais pas que beaucoup de mes auditeurs ne pouvaient pas définir convenablement un musée. L’un d’entre eux m’interpela afin d’avoir une explication du musée. Mais, comme il est difficile de définir le musée d’un trait, à cause de la variété de la réalité qu’il désigne, je me suis servi des caractéristiques d’un type ou d’une catégorie pour risquer une première définition.
DÉFINITION DU MUSÉE
2. Le musée, ai-je dit, évoque au prime abord un bâtiment, soit imposant ou de quelques dimensions appréciables, qui abrite des témoignages du temps sur un ou des sujets sensibles que la société veut léguer à la postérité. Le musée, en second lieu, désigne aussi et surtout une institution spécialisée où se trouvent conservés des témoignages – vestiges, fossiles, objets d’art, ouvrages, photographies, spécimens rares ou disparus d’êtres, d’outils, d’animaux, d’insectes, etc.- dont la seule présence raconte la vie d’une période, témoigne de l’évolution historique, sociale, économique, technologique d’une population. Le musée concentre enfin la vie mentale, affective, psychologique, intellectuelle et psychique d’un peuple ou d’un individu, la lègue à la postérité pour influer sur son présent et peaufiner les contours de son avenir. J’avais complété mon entreprise de définition par celle de l’ICOM [1] et dont se servent la plupart des spécialistes. Elle définit le musée comme « une institution permanente sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’étude, d’éducation et de délectation… » [2]
UNE TYPOLOGIE SOMMAIRE DU MUSÉE
3. La chose est claire à présent. Le musée désigne un espace de conservation, d'exposition et de promotion de la culture. La culture est l'ensemble des transformations que l'homme apporte à sa civilisation pour la rendre vivable. La plupart de ces mutations empruntent le canal de l'art. La nature a doté l'homme des doigts pour porter la nourriture à la bouche, des pieds pour son déplacement, mais l'ingéniosité de cet homme a créé la fourchette et la cuillère, la bicyclette et l'avion. Et bien des domaines de la vie ont subi les influences de l'action anthropique pour l'épanouissement humain. Aussi, dans les faits, un pays soucieux de léguer une corde à construire de façon continue et responsable à ses habitants devrait-il bâtir et entretenir des musées. Nombreux sont ces lieux de tourismes et de loisirs délassants, instructifs et formateurs. Plus que le nombre, la diversité permet d’y reconnaitre des types. Ce sont notamment, le musée d’archéologie, le musée des arts et celui des Beaux-Arts, les musées d’histoire et d’histoire naturelle, le musée des arts décoratifs, celui des sciences, le musée d’ethnologie et celui des techniques. On ajoute à cet ensemble, très peu exhaustif, les maisons de personnalités célèbres, les lieux où elles ont vécu peuvent devenir des musées, pour exemples, les maisons d’écrivains, d’hommes politiques, celles des héros d’une lutte. Une pareille extension du musée en corrobore davantage la résonance de témoignage et en fait une présence observatrice du temps, des peuples et de certaines personnalités méritoires. Il est la mémoire vivante des individus et des peuples, grosso modo, un livre ouvert sur un pan de l’histoire d’une période, d’un peuple ou d’un grand homme.
LE MUSÉE ET LE LIVRE
4. A voir de près, le musée et le livre entretiennent des rapports étroits. Espace où la lettre emprunte des tracées pour exprimer la pensée, raconter une histoire, embrasser, décrire et montrer la vie dans son entièreté, le livre revêt une certaine matérialité au travers de la magie de l'agencement des lettres; il y défile l'existence des peuples, située dans le temps, leurs aspirations et leurs rêves. En cela, le livre jette durablement une passerelle entre le passé, le présent et le futur. Semblablement, le musée vit d'une grande matérialité: les œuvres d'art de toutes sortes, les témoignages sur le temps et les projections des esprits-créateurs, témoins du temps, constituent le socle de sa présence. Et si le livre informe, forme, éduque, éveille et distrait, le musée le fait tout autant. Mais au-delà de toute considération, le livre ressortit au domaine de l'art, celui du langage porté par des lettres et confié au papier utilisé dans un rôle véhiculaire. Il en ressort que le musée, ce creuset où se conserve l'art, inclut le livre en lui-même: il n'est donc pas exagéré de voir le musée comme un immense grenier de livres qui parlent aux sens.
LES FONCTIONS DU MUSÉE
5.De ces prémisses découlent les nombreuses fonctions du musée. Bruno-Nassim Aboudrar les résume bien en affirmant :« Le musée doit exposer le patrimoine qu’il conserve, éduquer et procurer du plaisir. » [3]. On retient de cet énoncé que le musée s’investit dans la recherche, achète des œuvres, les constitue en fonds qu'il conserve. De plus, il noue le contact avec des homologues et le public, expose ses œuvres. À cet égard, deux dimensions intérieure et extérieure y apparaissent bien clairement. Agissant comme un collectionneur, le musée fait des recherches d’œuvres ou en commande à des mécènes, des archéologues, des esthètes d’arts et des producteurs. En tant qu'institution dotée d’une personnalité juridique, il acquiert des œuvres, des objets, des vestiges ; il les prête ou les emprunte pour les besoins de ses activités. D’un autre point de vue, interne cette fois-ci, tout musée s’adresse à un public, une audience parfois sélecte, parfois populaire. Au demeurant, le musée protège particulièrement le passé pour que les peuples en tirent des bénéfices. Face à la fugacité fulgurante du progrès, le musée offre son service à l'homme afin de lui éviter de perdre toute trace de son génie. Car à peine un acquis social installe-t-il qu'un autre vient le bousculer. Un vase est-il à peine entré dans l’usage qu’une autre forme le pousse vers la sortie pour célébrer le dynamisme de l’esprit humain. Une victoire ou une défaite instruit si l’on s’en souvient, et le musée est l’entrepôt de tout cela.
UN POURVOYEUR DE MÉTIERS ET D'EMPLOIS
6. Au-delà de ces considérations, le musée concentre toute une chaîne de métiers dont l’intérêt social est avéré. Un musée utilise en effet, pour sa construction, les acteurs de tous les domaines de l’art : les arts plastiques, les arts appliqués, les arts graphiques, l’artisanat d’art et l’artisanat [4]. En tant que bâtiment, sa bonne visibilité et son attrait résultent de la combinaison de beaucoup d’éléments de ces domaines. Et en tant qu’espace de conservation et d’exposition, il rend pérennes et visibles les œuvres qui en sont issues. On peut se faire une idée des potentialités en métiers d’un musée en se référant à la liste des secteurs d’activités couverts par chaque domaine de l’art. Dans le domaine des Arts plastiques, le musée utilise la sculpture, la peinture, le dessin, la photographie, la gravure;; dans celui des Arts appliqués, l'architecture, l'ameublement, le design, la tapisserie, le mosaïque, etc. Dans les Arts graphiques, il a souvent besoin des métiers comme: la publicité, la création de logos, la typographie, enfin, le travail du bois et la verrerie, dans l'Artisanat et l'Artisanat d'art. Si on recourt à autant de spécialistes des métiers pour sa construction, beaucoup plus nombreux sont les provenances artistiques des œuvres qu'il conserve et expose. Il n'est pas jusqu'aux arts du numérique qu'il n'expose pas aujourd'hui. En considération de tout cela, les équipes pédagogiques qui conçoivent les offres de formation dans le système Licence-Master-Doctorat (LMD) devraient s'informer sur les nombreux métiers et professions que renferme la muséologie..
UNE NOUVELLE ORIENTATION DU MUSÉE
7.Le musée fonctionne aujourd’hui comme une entreprise et, sous cet angle, se doit d’être rentable voire productif. Il est donc erroné de penser qu’il ne sert à rien dans la société. En sus du bénéfice mémoriel, distractif et instructif, tout musée rapporte des revenus pour lui-même et pour le pays. Son « visitorat » [5] représente l’une des innombrables et importantes sources de rentrée d’argent, après la subvention du contribuable, le gain des expositions et des collections. La notoriété de la thématique d’un musée attire des spécialistes locaux et étrangers qui rapportent des devises au pays. Ainsi, le musée participe-t-il, à sa manière, à l’essor national en tant qu’un maillon important du secteur touristique.
NECESSITE DE DEVELOPPER LA MUSÉOLOGIE EN AFRIQUE
8. Il convient donc que les pays africains, surtout francophones, s’investissent un peu plus dans la muséologie, afin d’informer, d’instruire et de former les jeunes générations d'une part et, d'autre part, ressourcer les personnes d’un certain âge. L’observation du paysage muséal d’Afrique révèle la propension à privilégier les musées ethnographiques ; ils sont pour la plupart financés par la métropole colonisatrice avec, en toile de fond, des œuvres qui renvoient à l’Europe les images d’Epinal qu’elle garde du continent, ces images par lesquelles l’asservissement a été entériné et continue d’exister à travers des accords de coopération dite bilatérale. Lorsqu’on inspecte, par exemple, le répertoire des musées du Bénin [6], on recense à :
- Porto-Novo
Le musée Honmê : « Palais royal » ; le musée Ethnographique Alexandre Sènou Adandé ; le musée da Silva, le musée d’histoire ; le jardin des Plantes de la Nature, musée privé ; le musée de Feuille, musée privé.
- Kétou
Le musée Akaba Idena, musée d’histoire, le musée du berceau Guèlèdè, musée privé.
- Cotonou
Nature tropicale, musée de Sciences naturelles, musée privé.
- Abomey-Calavi
Le musée de Hêvié, musée privé.
- Ouidah
Le musée d’Histoire ; la Maison du Brésil, musée d’Art ; la Maison de la Mémoire ; le musée International AVIMADJESSI, musée privé ; le musée de la Fondation Zinsou, musée d’Art contemporain, musée privé ; le musée du Soleil, musée privé.
- Grand-Popo
Le musée Villa Karo.
- Lokossa
Le musée Gnonas Pédro, mémorial, musée privé.
- Abomey
Palais Singbodji, Musée Historique.
- Dassa-Zoumê
Le musée EGBAKOKOU, musée ethnographique, musée privé.
- Savalou
Le musée de la chasse, musée ethnographique, musée privé.
- Parakou
La musée de Plein Air, musée ethnographique ; le musée de la musique, musée privé.
- Natitingou
Le musée régional, musée ethnographique ; la Stèle Kaba.
POUR UNE VULGARISATION DE LA MUSÉOLOGIE AU BÉNIN
9. Loin d’être exhaustive, cette liste prouve que le musée garde une importance du point de vue de l’histoire, de l’art, de la tradition et du folklore. Aucun thème de la vie, et Dieu sait que la vie en recèle, n’échappe à sa vigilance, pour peu que des esprits fouineurs, des collectionneurs se passionnent pour un aspect pointu, accrocheur et instructif de la vie sociale. Cela explique l’existence des musées privés qui représentent en réalité, une aide à l’Etat dans sa volonté et son obligation de conserver la mémoire nationale. Sa thématique est donc aussi multiple que variée de même que son intérêt.
Il importe que les populations soient formées et informées sur la l'importance du musée dans un pays. Une telle campagne susciterait des mécènes, des collectionneurs pour venir à la rescousse de l'Etat, afin de couvrir le vaste domaine muséal du pays. En plus de tous les exemples de musées privés, celui du musée Da Siva de Porto-Novo est édifiant. Et si le projet du Musée international des Arts et Civilisations des Vodun/Orisha se concrétisait, il y a fort à parier que le Bénin et ses populations en tireront de grands profits. Il en va de la formation au patriotisme, car les 90% de non-lettrés que compte le pays pourraient aller à la connaissance de leur patrie par la visite de ces lieux.
VALORISATION D'UNE HISTOIRE NATIONALE OCCULTÉE
10. Cependant, au Bénin, il manque beaucoup d’autres lieux de l'histoire de ce genre. Pendant les guerres dites de pacification coloniale, de braves Dahoméens se sont battus, avec des armes rudimentaires, contre les envahisseurs blancs, munis d’armes à feu sophistiquées déjà pour l’époque. Il ne paraît pas juste que le pays ne montre pas aux jeunes générations cette période du nationalisme éclaté, afin de faire naître en elles un certain patriotisme. Car ce qui en est dit dans les livres ne suffit pas.
11. Plus tard, la relative accession à la souveraineté de ce pays a été gérée dans des atermoiements et des soubresauts qu’il importe de raconter par des collections d’objets, de livres, d’éléments sonores et audios, etc. Les différents coups d’État, le Triumvirat, la révolution, la Conférence Nationale des forces vives, tout représente une étape de la pénible marche vers un âge mature. En éclatant la thématique qui s’y trouve, on peut identifier des axes d’organisation intelligible de cet exode de tout un peuple vers son épanouissement intégral. Et pourquoi le pays ne fait-il rien dans ce sens ? Veut-il que les générations présentes passent comme des pèlerins, sans laisser de traces parlantes faute d'exemples à imiter ? Le colonisateur connaît bien la valeur de la mémoire. Aussi, a-t-il créé l'IFAN, l'Institut fondamental d'Afrique Noire regroupant les archives de tous les faits et gestes de l'époque coloniale consignés par l'écriture et confiés au papier, puis il a créé le Musée de l'IFAN.
12. Ces exemples autorisent-ils à occulter la grande période de la révolution du marxisme léniniste ? On peut l’aimer comme on peut ne pas. Mais dix-sept ans d’un fourmillement d’idées, d’actes, d’outils et de discours, dix-sept années qui ont changé le Dahoméen d’autrefois en Béninois, selon l’objectif des caciques de cette idéologie, ne peuvent se gommer simplement. Il ne sied pas que la période soit subrepticement racontée dans des livres, elle doit l’être par des témoignages de toutes sortes, matériels, visuels, audios, etc. Par ailleurs, un homme et des hommes ont conduit cette marche forcée du peuple vers une certaine forme de reconnaissance internationale ; on ne peut décemment pas les oublier, un moulage par-ci, une effigie par-là, des photographies anciennes et rares, des biographies, leurs différents discours, voilà la parole donnée à l’histoire pour se raconter en direct, sans l'intermédiaire de la magie déformatrice du mot qui altère. Et du sein de ce groupe d’hommes, convaincus d’acter sur un front de lutte patriotique ont émergé probablement des figures emblématiques, meneurs d’hommes et patriotes. Maisons habitées, costumes, chaussures, bâton de commandement, discours, valises, tout ce qui leur a servi pour gérer ces dix-sept années ne peut tomber dans le vulgaire. Un jardin peut-être, mais une maison peut et doit servir à les immortaliser. Pourquoi le pays n’aime-t-il pas célébrer ses valeureux fils et filles ? On doit apprendre à reconnaitre en l’autre la valeur intrinsèque dont il est doté, et se plier à ce qu’il soit porté aux pinacles pour la grandeur de la patrie. La formation au patriotisme passe aussi par là.
ÉPILOGUE
Espace de conservation des témoignages matériels et immatériels de la vie, le musée collecte, rassemble et promeut la mémoire culturelle des peuples, en vue de la rendre pérenne. Pour ce faire, Il se concentre surtout sur l’art qui est considéré «comme l’expression et la communication d’idées, d’émotions et de sentiments au moyen de divers médiums »[7]. Il résulte d’un ensemble de savoir-faire arraché par le génie humain confronté aux insuffisances d’une civilisation brute, héritée dans des concours de circonstances, d’une géographie et d’une histoire. De ce fait, tous les États du monde et surtout ceux d’Afrique devraient vulgariser la culture du musée au sein de leurs populations pour aider les générations montantes à s’informer, se former au contact des expériences de leurs devanciers et prendre une certaine emprise sur leur futur. La France restituera bientôt le trésor artistique des rois d'Abomey, pillé par la colonisation. Événement important s'il en est qui devrait soulever un enthousiasme national sans limite. Au contraire, le pays s'est désengagé de la construction d'un musée spécial pour accueillir et abriter ce patrimoine inestimable. De plus, on peut se demander quelle audience sera réservée à cet important legs du passé source de patriotisme et d'inspirations.
Akotêgnon Gbêdékounnou Ascension BOGNIAHO
[1] ICOM France est le réseau français des professionnels des musées.
[2] Définition proposée par l’ICOM et citée par André Gob et Noémie Drouguet, La muséologie, histoire, développements, enjeux actuels, Paris, Armand Colin, 2014, Coll. U, in chapitre 1 : Définition et diversité des musées. Mis en ligne sur Cairn.info le 09/03/2016 par https://doi.org/10.3917/arco.droug.2014.01.0070
[3] Bruno-Nassim Aboudrar, cité par André Gob et Noémie Drouguet, La muséologie, histoire, développements, enjeux actuels, Paris, Armand Colin, 2014, Coll. U, in chapitre 2 : Des musées pour quoi ? Rôles et fonctions du musée, pages 70-99. Mis en ligne sur Cairn.info le 09/03/2016 par https://doi.org/10.3917/arco.droug.2014.01.0070
[4] Isaline, Les arts plastiques (Premier cours) 03 juin 2019 https://www.superprof.fr/ressources/art-loisir/arts-menagers/cours-arts3/tous-niveaux-arts3/explication-termes-artistiques.html
[5] Le « visitorat » dans Les musées et l'argent [1] Entretien avec Hervé Barbaret, administrateur général de l'établissement public du musée du Louvre Dans Cahiers philosophiques 2011/1 (n° 124), pages 107 à 122.
[6] La liste des musées du Bénin se trouve sur Internet à l’adresse suivante : https://www.frwiki.org/wiki/Liste_de_mus%C3%A9es_au_B%C3%A9nin, consulté le 19/06/21 à 20 :26.
[7]Isaline, Les arts plastiques, op. cit.