Le silence
Au Bénin, on n’aime pas vraiment le silence, pourtant le silence aide à créer et à se recréer.
Depuis quelques jours, je mesure la valeur inestimable du silence. Des voisins, un peu trop bruyants dans le service de leur dieu, agressent tout le quartier, et moi particulièrement, par la tonitruance de leurs supplications à l’objet de leur croyance. La proximité de mon logement avec leur temple m’impose un enfer de bruits impossibles : hurlements des fidèles, exécution vociférée de chants chorals, rituels et liturgiques, sur la cadence d’une orchestration du tonnerre, soutenue par des tam-tams et autres instruments à corde et à vent, des sermons criés au point d’en rendre les auteurs aphones, malgré l’utilisation de microphones et de puissantes baffes. Le pasteur, un gourou impénitent, bafoue les règles élémentaires du vivre ensemble en programmant les offices à des jours indus et sur des heures où les vrais travailleurs recherchent le repos à travers le silence et la quiétude ; ils les en prive allègrement. Tout cela m'impose une migraine persistante, et je me demande si , à la longue, elle ne sera pas invalidante.
Et pourtant, lorsque vous accusez le coup de la fatigue, le silence vous délasse et revigore. Il remet les neurones d’aplomb pour le labeur et la réflexion. A-t- on décidé de s’adresser à Dieu, on fait recours au silence parce qu’il donne plus de relief à la méditation en la densifiant. Quel travail intellectuel convenable peut-on réaliser dans le bruit ? L’écolier, l’élève, l’étudiant ont besoin du silence pour apprendre leurs leçons, faire leurs exercices de maison et effectuer des recherches ; il en est de même du professeur qui corrige des copies ou prépare ses fiches d’enseignement. Les yogis et ascètes recherchent le silence coûte que coûte pour unifier leur corps et leur esprit. Le silence revêt donc une valeur si importante que mère Teresa en fait un ami de Dieu. Elle reconnaît de surcroît le rapport serré entre la nature et le silence : les arbres, les fleurs et l’herbe poussent en silence. Il n’est pas jusqu’aux astres qui ne donnent une leçon sur le silence par leur interminable et silencieuse révolution. Socrate, Descartes reconnaissent la valeur du silence, et la philosophie s’intéresse aux paradoxes, et particulièrement à l’absence de bruit, opposant de la sorte le bruit et le silence. Fermer les portes et les fenêtres, entrer en soi constituent une marche vers un tête-à-tête avec soi-même, son univers intérieur pour se relier à une instance hiérarchique de l’être. Un peuple qui méconnaît le silence tourne le dos à l’évolution, car comme dirait Henri Lopes, pendant que dans les pays d’Afrique, on se déhanche sur le rythme langoureux d’une belle rumba, des peuples austères s’enferment pour étudier la façon dont ils pourront en dominer d’autres.
À la vérité, le silence ¹n’est pas cette vacuité à laquelle on pense spontanément, mais une forme de trouble intérieur de l’esprit en une attente apaisante, une attente tranquille, une attente effrayante parfois, toutes situations empreintes de bruits. Le silence ne consiste donc pas en l'absence de tout bruit : l'un n’est pas la négation de l’autre. Néanmoins, quelle que soit sa nature, le silence traduit une mutation de l’homme qui s’exhausse en un être dédoublé afin de décrire, analyser, déconstruire et reconstruire. Dans le silence se bâtit toute l'architecture du penser et de l’agir. Aussi, la privation ou la perte du silence constitue une descente aux enfers humaine. Et c’est ce que nous vivons dans la plupart des villes ou quartiers de ville du Bénin où l'on affectionne le bruit, le cultive même, où nous l’imposons à autrui comme s’il était de notre essence, une expression de notre être.
Garder le silence, c’est le respecter, se respecter, respecter l’autre ; garder le silence , c’est encore aimer écouter les bruits intérieurs de l’être, le voir s'élever en des sphères supérieures où l’esprit et l’âme se jouxtent pour vivre l’ivresse de la découverte d’un monde nouveau et riche des fantasmes, des peurs, des projections, des avenirs fugitifs que la capture apprivoise pour devenir un programme calé sur de solides bases, garder le silence, c’est vivre toute une vie organisée qui tire son assurance de l’existence de sa source, le silence auquel elle peut se référer pour se requinquer, en somme, garder le silence, c’est vivre.
Baliverne qu'un bar bruyant où le consommateur d’une liqueur, d’une boisson fraîche ou d’un café ne peut même pas écouter le glouglou langoureux de la gorgée qui soulève la pomme d’Adam pour se libérer un passage vers le ventre. Encore triste est le restaurant où le mangeur ne peut même pas entendre le chantonnement de ses mâchoires travaillant qui en ajoutent à la succulence du mets. Le bruit est donc une sorte de malheur de la vie, une catastrophe. Nous devons donc priser le silence.
Pourquoi les églises et les temples qui pullulent de nos jours ne peuvent-ils pas comprendre que leur protocole d’adoration de leur dieu ne devrait pas être une source de nuisance pour leurs voisins ? Pourquoi ont-elles la faiblesse de penser que ces voisins partagent la même foi qu’eux et qu’ils agissent bien en leur imposant les bruits de leurs supplications ? S’ils étaient des adhérents de leur groupe ou des fidèles de leur dieu, ils seraient dans le temple au moment des vacarmes assourdissants. Pourquoi ne prennent-ils pas exemple sur les vodunsi qui font leurs tapages même nocturnes sans déranger leur entourage parce qu’ils sont installés au fin fond d’un bois dont les arbres étouffent le bruit et, quand bien même le temple se dresserait au cœur du quartier, leurs adorations sont presque murmurées. Le paroxysme du culte chez eux se mue en une exhibition de danses chorégraphiques publiques où la population est conviée en spectatrice. Voilà des gens qui possèdent le sens du vivre ensemble, celui du respect de la différence au contraire d'autres indélicats qui brutalisent les oreilles d'autrui durant de nombreuses heures et à des moments impossibles de la journée.
On m’objectera qu’il y a une réglementation qui canalise toute pollution sonore quelle qu’en soit la source. C’est le décret n°2001-294 du 08 août 2001 portant réglementation du bruit au Bénin. Citant les sources de bruits concernées par le décret, il mentionne à l'article 6 de son chapitre III, les lieux de culte. Et pourtant, ce sont ces bivouacs sauvages d’adoration qui dérangent tout le monde dans les quartiers. Ce sont le plus souvent des cahutes et, dans le meilleur des cas, de modestes constructions en matériaux définitifs. Leurs riverains, incapables de porter plainte pour conquérir une certaine quiétude se taisent et se rongent les freins. Ils se contentent de maudire le gourou et ses ouailles. On est souvent curieux de savoir pourquoi ils ne s’en réfèrent pas à l’autorité pour leur protection.
La police environnementale et même la police républicaine sont constituées des magistrats chargés du respect ou du rétablissement de l’ordre aux endroits où il est perturbé. Néanmoins, leur mode opératoire est le plus souvent l’indiscrétion entretenue par l'incompétence, le népotisme et la corruption. Ces agents du maintien de la paix ne descendent pas sur les lieux de la plainte pour une vérification en règle, ils y vont plutôt pour juste adresser quelques invectives aux accusés et pour dénoncer au gourou et à ses clients l’auteur de la plainte. Dès lors, le malheureux plaignant est pris en chasse par le cercle des fidèles, il est vilipendé, surveillé, calomnié, affublé de tous les qualificatifs s’il n’est pas entre temps ou au final livré à des forces occultes. Ainsi, sa vie tout entière et celles de sa maisonnée basculent-elles dans des malheurs sans nom et la maladie. Ils paient par la détérioration de leur existence, l’audace d’avoir réclamé un droit, celui tout à fait normal à la quiétude. Cela vous paraît-il juste et normal ?
Akotêgnon Gbêdékounnou Ascension BOGNIAHO