Sɛ̌kpé

Publié le par Akotêgnon Gbêdékounnou Ascension BOGNIAHO


Voici les références pour citer ce texte:  Sɛ̌kpé, dans Le Blog de Bogniaho 

http://a-po-li48-as.over-blog.com/2020/12s-kpe.html  


1. Mǐ bó nɔ̌ málânɛ̀n ná mǐ

2. Àkwɛ̌nûwátɔ̂ Sɛ̂kpécé nǎ mí bó

3. Gɛ́dɛ̌wɔ̌lɔ̌ mɔ́nɔ̂ kpɔ́é

4. Hízǐ wɛ̌ nɔ̂ hízǐ

5. Yé ɖɔ̀ tɔ̌ɖé wɛ̌ ɖê àgɔ̂nsǎ

6. Mɛ̌ɖé kún nɔ̌ sɛ̂kpɔ́ wé

7. Àgbétɔ̂ɖé wɛ̂ ɖè àgɔ̌nsá

8. Mɛ̌ɖé kún nɔ̌ sɛ̂kpɔ́ wé

9. N’ ɖî xólô nǔgbó

10. N’kǔn nɔ̂ fǔn núnkǔnmɛ̂ yí àgɔ̂ wé

11. N’ká jɔ̀ gɔ̌gɔ̂ nǔgbó

12. N’kǔn nɔ̂ fǔn núnkǔnmɛ̂ yí àgâ wé

13. Gɛ́dɛ̌wɔ̌lɔ̌ mɔ́nɔ̂ kpɔ́é

14. Hízǐ wɛ̌ nɔ̂ hízǐ   

BOGNIAHO FADONOUGBO Oké Gbêsso 
Azowlissè (Wémê)
 

Traduction 

1. Louez pour et avec moi,
2. Mon bon dispensateur de biens, mon cœur Sêkpé.
3. Des chaînes jetées pêle-mêle
4. S'entremêlent, inextricables.
5. On dit: au pied du rônier gît une source,
6. Mais personne ne s'en approche.
7. Au pied du cocotier gît une immense source,
8. Et nul ne s'en approche.
9. Je suis, à n'en pas douter, bête!
10. Cependant, je ne me débarbouille pas à l'envers.
11. Je suis assurément bête,
12. Je ne me lave point le visage du menton au front.
13. Des chaînes laissées péle-mêle
14. S'entremêlent, inextricables.


Ce texte, créé dans les années 30 par Oké Gbêsso Fadonougbo, est un poème d'amour dont l'objectif manifeste est de louer. Non seulement, il s'astreint à cette visée comme à son programme d'existence, mais encore  invite l'auditeur à participer à la louange ici, sur le champ et, plus tard, souvent,  du moins, pour toujours à toujours. Texte devenu éternel, il est du  type de poème-apostrophe par son entrée pronominale et développe un sentiment amoureux  aux accents lyriques fondés sur la largesse légendaire du bien-aimé,  le choix lucide de l'amante et le symbolisme foisonnant par lequel s'installe la circonlocution.


 D'entrée, le poème attribue le surnom affectueux de Sêkpé à l'être chanté. En effet, dans ces années 30 où la rencontre des cultures occidentale et dahoméenne n'avait pas encore altéré les habitudes, les époux se donnaient des désignatifs affectueux suivant l'intensité du sentiment amoureux et le niveau social des conjoints. Sêkpé décomposé, donne:  "sissê",  il signifie la brillance, la célébrité. Il est utilisé ici sous une forme abrégée, et "kpé" qui se traduit par rempli, suffisant. Le vocable dans son ensemble signifie : Le célèbre, mieux encore : un homme célèbre. Et c'est celui-là que chante Gbêsso, elle-même surnommée de son nom d'artiste: " la vie m'a choisie" ou "l'élue de la vie".


Sɛ̌kpé est un homme exceptionnel par sa bonhomie. Cette vision, celle de l'épouse, vient justifier les raisons d'un choix amoureux. Les deux premiers versets, qu'on assimile à une introduction,  sont une invite de tout auditeur à accompagner la célébration dédiée par une narratrice homodiégétique à ce bienfaiteur du nom de Sêkpé, son époux. La largesse légendaire de l'homme, traduite par le déverbatif " akwɛ̌núwâtɔ̂", celui qui sait dépenser de l'argent pour autrui,  est connue et lui vaut déférence et culte, exprimés par l'adjectif possessif tonique "ce", à moi. Le rythme ternaire décrescendo de cette introduction utilise deux appuis rythmiques que sont " mi" et "ce"  qui permettent de mettre en  relief les deux motifs pivots de cette partie du poème: la largesse et l'affection. 


Dissimulée sous un aspect qui n'attire personne, la largesse s'exprime en une bonhomie sans pareille. Elle se réifie davantage par la source que désigne  une gradation ascendante "tɔ̀" et "âgbétɔ̀". Son isolement sous un abri sylvestre ombragé lui donne la fraîcheur. Et l'eau, déjà source de vie, de surcroît soustraite à l'action de la chaleur, ne peut qu'être grandement rafraîchissante. Par là apparaît le symbolisme de l'eau porté par la métaphore dans laquelle Sêkpé est égal à la source, son comparant. Il étonne que de telles qualités de paix et de richesse partagée ne drainent point des foules d'adulatrices ni de prétendantes vers l'homme. Car les apparences sont trompeuses: l'homme se soustrait au grand public pour ne pas être confondu avec tout le monde. Nul ne dément que des chaînes laissées ensemble, s'entremêlent réellement. Il  relève de la légèreté de confondre les individus  dans la cité, car on ne saurait reconnaître les bons des mauvais. C'est comme on le dit, les moutons se promènent ensemble dans le village, mais ils n'ont pas le même prix. 


En ces années-là, voire de nos jours, l'homme reste aux yeux de la femme un bijou de métal précieux. La chaîne est une parure, et le mariage attribue l'homme, en tant qu'une parure, à la femme. Le choix d'un mari, acte exprimé par un style suggestif, sonne et consacre l'extinction des autres hommes. Désormais, l'épouse porte son mari à son cou comme un bijou, elle sait dorénavant qu'elle ne peut avoir d'yeux que pour  la précieuse parure qui embellit   son cou et, par ricochet, confère notoriété à sa personne. Aussi, l'appelle-t-on, dès le mariage, par le nom de son époux. Mourant ainsi à sa famille d'origine, elle renaît à celle d'accueil, la famille de son conjoint. Mort et vie se jouxtent et finissent par s'interpénétrer. Allitérations, assonances, images et métaphores botaniques et aquatiques s'enlacent agréablement afin d'exprimer ce non-dit qu'est l'amour; il a pour point de mire un homme et pour figure aimante, une femme. Autant l'homme se profile comme une perle rare, autant cette femme est une intelligence fine, douée d'un bon sens naturellement irréductible: elle se comporte comme tout le monde malgré sa perspicacité. Ainsi, l'homme et la femme se mettent en valeur réciproquement. A tel point que la glorification de l'autre devient un prétexte à une autoglorification. 


Au demeurant, ce poème d'amour chanté également, dans un style suggestif l'être aimé et celle qui aime et chante. Les deux comparses se décrivent comme des êtres exceptionnels.

Publié dans Littérature

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