Tout est kango

Publié le par Akotêgnon Gbêdékounnou Ascension BOGNIAHO

A l'instar de Kango, la potasse, la vie sociale, économique et politique du Bénin est dure et acide. Et pourtant, on doit y survivre dans la paix.

 

Tout est kango en ce moment dans le beau Bénin, entend-on dire partout, et Aziza ne fait que le rapporter dans ce papier.  Hommes et femmes, jeunes et vieux le disent, ainsi tout le pays est-il gros de potins populaires; ils se racontent dans les sentiers de brousse qui mènent aux champs, sur les zems à l’occasion d’une course, dans les mini-bus lorsque le ralentissement de la circulation installe dans l’habitacle une lassitude soudaine, chargée de dégoûts pour une existence de plus en plus pénible. Gêmê vê sin.

Le visage défait, les hommes égrènent leurs restrictions obligées, leurs nouveaux modes de vie réduits à l'essentiel, les femmes des campagnes, cette masse laborieuse et industrieuse usent maintenant d'expédients pour aider leurs époux à  subvenir aux besoins de plus plus nombreux de leur progéniture,  pendant que leurs sœurs  des bureaux mouillent pour de vrai les soutiens-gorges parce qu’il leur faut travailler huit heures quotidiennement, délaissant du coup la parlotte habituelle dont les maris, les enfants et les voisines sont des protagonistes aux défauts et qualités hyperboliques. De leur côté, les hommes-bureaucrates gardent constamment le nez enfoui dans des paperasseries par où transitent parfois, des parquets de milliards de billets de banque qu’ils ne verront jamais, eux qui sont violemment sevrés de la présence dans leur bureau d'une radio, pour écouter un massègohounhan bien serti ou autre cantique religieux miaulé à la gospel, d'un poste téléviseur, pour s’informer de l’actualité politique d’ici et d’ailleurs sur TV5 Monde ou Afrique, ou pour regarder se déhancher, sur Trace Urban, des chanteuses au teint ambré, aux voix suaves, toutes commodités factices  d’antan qui les éloignaient manifestement des objectifs de rentabilité pour lesquels ils occupaient ces lieux.

Et les femmes des marchés! Elles arborent des mentons désormais usés, sans rien exagérer évidemment, à force de les maintenir à longueur de journée, dans la paume de la main indifféremment gauche ou droite, supportée par un bras au coude appuyé sur la cuisse ou le genou: dame mévente ou morosité des affaires y tient son étale.

De fait, le pays tout entier a coupé d'avec son passé de laxisme décapant, de pagaille à la volière, de laisser-aller, et d'avec sa labeur rentable qui fait aller et venir l'argent; il a  embrassé la rigueur, le travail, un travail qui ne garantit même pas le pain quotidien; et comme une parturiente, il gémit en sourdine, car il ne fait pas bon d’en parler à haute voix.

En effet, vivre dans le pays est devenu un gros problème, et pour cause. Parler avec des proches est un problème, dormir chez soi en est un aussi tandis que circuler, un casse-tête. Aujourd'hui, l'on roule à gauche, demain on roulera à droite, peut-être ne  roulera-t-on même plus du tout ni à gauche ni à droite après demain. Se faire payer à temps pour un travail fait constitue le problème  annonciateur d'une vertigineuse descente aux enfers; des tracasseries jonchent le parcours du créancier de l’Etat ou de n’importe quel client souhaitant rentrer dans ses droits, tout le monde doit disposer d’un compte bancaire avec à la clef un relevé d’identité bancaire (RIB), d’un numéro d’immatriculation financière unique (IFU), car le pays doit prendre sa part de vos gains. Si vous ne le voulez pas et n’allez pas travailler, vous serez taxé sur improductivité notoire et rebelle, notre pays en est un petit, aux revenus essentiellement fiscaux. À cet égard, tout citoyen productif doit contribuer à sa richesse par la rétrocession d'une partie de ce qu'il gagne.  Tenez! Un gardien de CEG se retrouve sur les états de paiement des indemnités de travaux d’un examen national,  avec un montant de 6000 francs CFA. On lui demande son RIB et, hagard, il se tourne vers son directeur pour s’informer de ce qu’on attendait de lui. L’homme au salaire mensuel d’à peine 25000 n’a jamais franchi la porte d’une institution bancaire. Pouvez-vous imaginer ce que l’on fit?

La morosité du commerce dépasse la récession économique. Des journées entières passent sans qu’un seul client ne passe le perron de la boutique, même l’achat à crédit refoule des gens, pourtant visiblement dans le besoin, puisqu’ils ignorent le moment où  ils auront de l’argent pour s’acquitter de leur dette.  Ces temps sont plus durs que ceux de la conjoncture. Celle-là a existé dans les années quatre-vingt-quatorze; les gens résistaient à sortir le moindre sous parce qu'ils n’en avaient point suffisamment pour faire vivre leur famille, il était donc irresponsable à leurs yeux d'en gaspiller. La situation était si cocasse que des biens de première nécessité avaient été produits, qui portaient l’appellation de conjoncture.  Et pour répondre à ce qualificatif, des unités de production d'alors augmentaient le volume ou le nombre de certains de leurs produits au détriment de la qualité. Ainsi, a-t-on connu le gali-conjoncture, la bière-conjoncture, etc.

Actuellement, le vécu du commun des Béninois ne peut avoir nom conjoncture, mais plutôt  tour-de-vis, du nom d’une émission télévisée qui tournait en dérision l’épargne forcée à cause d’une précarité ambiante provoquée par la dévaluation du franc CFA et la mévente. Néanmoins, aujourd’hui, le pays ne vit point les affres d’une dévaluation mais bel et bien un grand tour-de-vis. Tout l’existant y est méthodiquement mis à plat de manière silencieuse mais drastique pour une reconstruction dont on devra trouver les moyens dans une levée d’impôts et de taxes.

Ainsi, des taxes naguère abandonnées ont-elles resurgi avec force, enserrant davantage le cou à des gens ployant depuis longtemps sous de douces redevances. Chaque jour amène son  écot à payer.

Les vignettes sur véhicule sont renées ainsi que les impôts sur le bâti et l’occupation de lieux publics, au travers des tournées foraines d’agents percepteurs pour la collecte des taxes dans les marchés et les maisons. De leur côté, en passant du simple au double, les taxes de péages prêtent allègrement main forte au relèvement des factures d’électricité et d’eau par le biais d’une TVA inique pour amasser comme un trésor de guerre.

Dans ces conditions de pression physique, morale et spirituelle, on apprend en ce moment, par les réseaux sociaux, que tous les propriétaires de terrains devront immatriculer diligemment leur bien, sous peine d’une avalanche d’amendes. Vraiment ces réseaux sociaux ont des oreilles partout! Ils captent des informations insoupçonnées et les relaient gracieusement. Qu’ils les assaisonnent à leur goût ou, avec une relative impartialité, ce sont toujours des infos salvatrices, car sans ces médias, beaucoup de Béninois se feraient surprendre par des décisions, des décrets qui inventent et multiplient pour eux des formes de sujétions nouvelles, accouchées par l’obligation du prélèvement des taxes à tout prix et sur tout, car personne ne vivra plus gratuitement dans ce pays: c’est la rupture qui l’exige.

Le renom du cynisme de feu président Zinsou n’est rien à côté de la dureté actuelle de la rupture; même la violence du comptons sur nos propres forces de la révolution populaire du regretté Mathieu Kérékou représente des cajoleries face à la pressurisation ambiante d’aujourd’hui. Et la situation est si flagrante que tout le pays ressemble à une contrée sortie nouvellement d’une guerre: tout est kango.

Évitant la dénonciation et la polémique, car tel n’est pas son objet, le présent panorama de la société béninoise rupturienne prend à témoin la parole de voix plus crédibles et plus audibles qui fustigent, sans ambages, la mainmise sur les ressources du Bénin et leur pillage par une minorité d’oligarques. Ces faiseurs d'opinions sont le président Nicéphore Dieudonné Soglo, le ministre  Candide Azannaï et Maître Alawo du GRDES-Afrique. Leurs cinglants réquisitoires se recoupent en des maux et mots forts que sont: le siphonnage des ressources de la nation, la spoliation et l’usurpation, la corruption, la chasse aux sorcières et aux opposants, et autres délits qui ne sont même pas des peccadilles dans le catalogue de la CRIET. Ils enfoncent davantage le clou en reconnaissant que ce climat délétère a transformé les députés en une caisse de résonance mue par la boulimie et l’appât du gain, incapable de s’élever au-dessus des contingences immédiates. Tels des fils ignorant les limites du champ patrimonial, ils auraient permis à un intrus de prélever des cordes dans leur domaine pour les lier eux-mêmes au détour du vote de lois liberticides. Aujourd’hui, ils ne savent plus à quels saints se vouer pour se sortir d’affaire, car il existe de fortes probabilités que beaucoup d’entre eux ne puissent pas briguer un autre mandat: quand la rupture, une hydre aux mille tentacules intelligentes vous tient,  il vous est impossible de vous déprendre, les députés ne le savaient pas, ils l'apprennent à leur dépens et s’en mordent amèrement  les doigts.

Le branle-bas actuel généré par l'imminente échéance des législatives met à nu l'ingéniosité diabolique par laquelle le pays est soumis, quadrillé et muselé. Qui en est l'auteur, d'près vous? L'observateur de la société ne peut être d'accord avec vous si vous désigniez une autre personne que le parlement. Institution honorable, il a perdu toute crédibilité pour s'être volontairement et délibérément mis à la solde d'un homme aux objectifs inavoués publiquement et mis en oeuvre avec méthode et minutie. L'impasse à laquelle ont conduit leur manque de patriotisme et leur égoïsme fait planer le spectre de la violence puisqu'ils appellent le peuple à la rescousse.Sous le titre de: "Sévère mise en garde de FCBE, USL, PCB, RE, PLP, MADEP, PSD et RB à Patrice Talon", Serge B. Y. DJOGNON rapporte la réunion tenue par l'opposition le 18 février 2019 à l'hôtel Azalaï. Après avoir fustigé les manœuvres dilatoires du pouvoir, les participants

"prennent à témoin la communauté internationale et appellent les jeunes, les femmes, les travailleurs, les artisans, les paysans, les producteurs, les commerçantes et commerçants, les démocrates, les Béninois de la diaspora, les zémidjans, les chômeurs, les étudiants, les enseignants et autres couches sociales à se tenir immédiatement prêts pour suivre les mots d'ordre de l'opposition, afin de défendre dignement la patrie en danger"

Manifestement, il y a péril en la demeure. En appelant au secours la plupart des couches qui ne reçoivent jamais rien de la démocratie, ce corps social de politiques oublie une seule chose qu'au moment où le peuple gémissait sous un broyeur de la personnalité humaine en lui coupant toutes les sources de revenus, ce élus n'ont pas protesté, au contraire, ils ont voté allègrement des lois du musellement. Néanmoins, on peut espérer que la situation actuelle servira de leçon aux futurs élus et que, plus jamais, cela ne se reproduira. Les élus peuvent jouir de tous leurs avantages liés à leurs fonctions, mais ils ne doivent pas piétiner les intérêts du peuple.  

Il faut donc faire quelque chose. Car on voit à terme, dans une vision apocalyptique, une multitude de Béninois devenus des zombies aux ventres caves,  les têtes ébouriffées, squelettes ambulants tendant des sébiles sans espoir d’aumônes chez d'autres déjà meurt-de-faim programmés. Car ceux d'entre eux qui font actuellement un repas par jour, n'en feront plus du tout et, ceux qui n'en font aucun et s'accrochent à des pitances sporadiques dégénéreront pour devenir des menaces publiques. Dans ce cas, elle n'exceptera personne: il nous faut conjurer coûte que coûte le spectre de la violence et prôner une culture de paix.

Publié dans Opinion politique

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