Wémè et émergence économique du Bénin

Publié le par Akotêgnon Gbêdékounnou Ascension BOGNIAHO

La vallée de wémè peut contribuer de beaucoup à l’émergence économique du Bénin pour peu qu’on lui fasse retrouver sa vitalité d’antan.

Avant-propos

Ce texte a été publié pour la première fois, le 13 octobre 2009, sur mon premier blog, sous le titre : "Plaidoyer pour la revitalisation de la vallée de l'Ouémé"; il n'a pas connu une large diffusion. La présente édition, revue, augmentée et corrigée embrasse tous les aspects de la vie dans la vallée et propose des solutions pour que cette région contribue à l'émergence du Bénin.

Introduction

Perdre les acquis du passé apparaît comme une régression, une arriération, car un acquis ne se perd pas. Si cela  arrivait dans un secteur de la vie publique, le tort en devrait être imputable aux gestionnaires à tous les niveaux. Pourtant, l’observation de la situation actuelle de la vallée de wémè aboutit à la constatation d’une régression proche de la décrépitude. Ceux qui ont connu ce territoire naguère florissant et épanoui, devraient être saisis d’un pincement au cœur  face à l’état de son quasi-délabrement. On peut y remédier avec une certaine volonté politique de faire partager la sollicitude engagée de la nation pour des localités à fortes potentialités de développement.

La diversité des populations du Bénin, une richesse

 Dans un Etat comme dans une Nation, il existe naturellement plusieurs communautés humaines. Elles peuvent habiter des régions distinctes à cause de l’histoire particulière de leur installation. Leur agglomération forme la nation. Et l’apparente homogénéité des nations d'aujourd'hui masque une diversité des groupes humains constitutifs. Des siècles d’histoire et de cohabitation  ont quelque peu limé les différences sans pour autant les faire disparaître vraiment: l’harmonie d’une nation se trouve donc dans la nécessaire persistance de ces différences.

  Le Bénin n’échappe pas à cette règle. On y rencontre diverses populations, entre autres, les Fonnous installés dans la partie qu’on peut appeler le centre, les Nagos, dans le sud-est et le centre-nord, les Yoroubas, dans le sud-est, les Mahinous qui occupent le centre-ouest, les Batombous et autres groupes humains, dans le Nord et le grand nord, les Popos, Watchis, les Adjas, les Gueins et autres populations vivent dans le Mono-Couffo, les Wémènous, dans le sud-est, etc. Ces derniers habitent la vallée de wémè, c’est-à-dire la plaine inondée par le grand fleuve à la montée des eaux entre juillet et septembre. Cette mosaïque de populations fait la richesse du pays, chacune d’elles possédant évidemment ses spécificités.

 La vallée de wémè d’hier et d’aujourd’hui

  A l’observation, la vallée de wémè, cette région naturelle, se meurt progressivement. Nombreuses sont les raisons de cette situation : l’ostracisme politique, le changement climatique, l’exode rural, l’ensablement du lit du fleuve, etc. ont entamé et sapé son rayonnement économique d’autrefois. Toutes les personnes de la période coloniale peuvent témoigner que la vallée était une zone très prospère. A telle enseigne que des fonctionnaires coloniaux  (Edouard Dunglas) la qualifiaient  de ''grenier du Dahomey''. Et pour cause.

  La vallée fournissait à tout le pays et même à l’étranger, et en toutes saisons, des céréales, des légumineux, des épices, des produits maraîchers, des graminées, beaucoup de produits halieutiques provenant du fleuve et des trous à poissons - des chenaux  de pisciculture traditionnelle -, de l’huile de palme et des palmistes. Cette prospérité était telle que des marchés de grande renommée attiraient périodiquement des commerçants de Porto-Novo, de Cotonou, du Nigéria, etc. Ce sont les marchés de : Zèglè, Dangbo, Azowlissè, Akpadanou, Afanmè, Bonou Tatonnonkon, Kakagnitcho, etc. Aux jours de leur tenue et animation (deux fois en cinq jours), l’unique axe routier qui traverse la région fourmillait de monde, qui à pied, qui à bicyclette, qui entassés dans des véhicules de transport public appelés ‘’dindons’’ ou goélettes, tandis que d’autres marchands empruntaient la voie fluviale dans de grandes barques appelées ‘’wété’’ ou ‘’akro’’. La région pouvait se vanter aussi de son huilerie de Gbada qui justifiait l’existence des palmeraies industrielles aux côtés des palmiers sauvages abondants.

 Pourtant, depuis cette époque mémorable, le pays wémè, trait comme une vache à lait, ne bénéficiait d’aucune sollicitude de l’Etat dahoméen, devenu béninois. Masquée par Porto-Novo, la région était délaissée et ne bénéficiait que de peu d’infrastructure. N’eût été la présence de feu Révérend père Adéyèmi Dominique, l’école et l’instruction n’y auraient jamais percé. Installé à la paroisse-mère d’Azowlissè, l’illustre et vénérable curé avait essaimé l’école, en même temps que l’évangile, dans les stations secondaires de Dangbo, Gbada, Djigbé, Adjohoun, Affanmè, Bonou, Danko, Gbéko, Gbéssou, Dèkin et la liste en est très longue. Elle dote la région d’une pépinière de lettrés et d’intellectuels.  Et pourtant, feu Oké Assogba, un natif et originaire de la vallée, était  ministre dans le gouvernement de feu Président Hubert Maga et occupait fréquemment les fonctions de président par intérim quand l’autre s’absentait pour des raisons d’Etat. De plus, les élus locaux Moïse Didè et Marcellin Kounasso n’avaient pu rien faire de concret pour intéresser les décideurs politiques au progrès de la vallée.

  Ainsi, plus on avançait vers les années 70, plus la situation économique se dégradait, le pays Wémè s’enfonçait dans le marasme et la pauvreté ; il devenait plus enclavé que jamais et finissait par être totalement abandonné par le régime du PRPB (Parti révolutionnaire et populaire du Bénin). On y avait obtenu quelques empreintes de la présence de l’Etat, autres que celles laissées par les colons, au terme d’âpres négociations et de luttes acharnées. Même pour y obtenir l’implantation de Collèges d'Enseignement Général (CEG), à cause de la croissance de la démographie scolaire, c’était la croix et la bannière, un véritable parcours du combattant. L’électrification de certains villages et l’adduction d’eau potable restaient des initiatives privées, instiguées par l’esprit combatif d’une association de développement naissante : Kponou. La réalisation de beaucoup de ces installations résultait de l’engagement financier et/ou physique  des villageois et des cadres ressortissants.

Les malheurs d’une association de développement : Kponou

  Cet état de choses révoltant pousse les filles et fils de la région à créer la première association de développement du Bénin, dénommée KPONOU, au moment-même où le régime du PRPB ne tolérait aucun mouvement associatif. Il n’est pas superflu de signaler que ce regroupement n’aurait jamais vu le jour sans le laboratoire de formation au militantisme que fut la JEO, Jeunesse Etudiante de l’Ouémé. Ce mouvement rassembleur des jeunes étudiants et élèves de la vallée les réunissait durant un mois des vacances scolaires pour se connaître, vaquer à des activités culturelles, se livrer aux actions d’éveil de conscience de leurs parents en sillonnant tout le territoire et, en point d’orgue des activités, intervenir auprès des autorités administratives et politiques pour la dénonciation des dysfonctionnements et des vexations administratifs  imposés à leurs parents et révélés par l’opinion publique et les constations.

   Né donc des cendres toutes froides déjà de la JEO, KPONOU ambitionnait de contribuer de façon significative au développement de la vallée et au bien-être de ses populations. Ainsi, devait-elle procéder à la recension des potentialités agricoles, minières et à celle des événements culturels marquants, capables d’alimenter un tourisme local. Mais elle ignorait qu’elle était un objet de convoitise. A peine allait-elle entrer dans le vif de l’action que des associations similaires, instiguées ailleurs par mimétisme, voyaient  le jour autour d’elle pour la concurrencer. Dès lors, ces timides actions devenaient comme des coups d’épée dans l’eau.

  Si seulement les fils de la vallée s'étaient battus pour conserver une vitalité à leur mouvement associatif,  si l'arrivisme n'était pas monté à la tête de certains d'entre eux comme de la moutarde,  ils auraient continué  à réfléchir au devenir de leur terroir. Dans la réalité, tout leader politique de ce temps-là était convaincu de réussir dans le secteur en inféodant Kponou, à cause de cette union historique où tout un ensemble de populations pouvait agir de concert et d'un seul bloc; c'était une force. Et il fallait la posséder.

 La première attaque contre Kponou vint du PRD (Parti du Renouveau Démocratique) de maître Adrien HOUNGBEDJI. De fait, au lendemain d'un congrès historique de refondation du creuset, la quasi-totalité du bureau dirigeant de l'association adhère au PRD afin d'en positionner des membres sur les listes électorales des législatives. Le stratagème réussit pour quelques-uns qui parvinrent à se faire élire députés. Dès lors, ils lâchèrent presque l'association pour se consacrer à des tâches politiques dont on ne peut décemment identifier les contours et les gains aujourd'hui. L'association entrait dans une longue léthargie et devenait l'ombre d'elle-même. Les récriminations et jérémiades des militants laissaient indifférents ces élus ainsi que le reste des membres du bureau. Cependant, le véritable résultat escompté par le parti n'ayant pas été atteint, à savoir l'élection de maître Houngbédji à la magistrature suprême du pays, Kponou, comme une femme sans plus aucun attrait, déchoit. Sur ces entrefaites, Fagbohoun et son parti politique orchestraient la deuxième attaque et portaient le coup de grâce à un groupe déjà moribond et qui ne croyait plus en lui-même. Ils l'achevaient dans un démantèlement en des Kponous communaux confiés à des militants ayant peu ou prou d'expérience associative. Leur incurie sur le terrain les poussait à abandonner l’association : Kponou a existé.

L’extinction du rayonnement commercial de la vallée

  Comme si tout devait arriver au même moment, le délaissement de la région s’approfondissait ; la précarité et la pauvreté grandissantes faisaient émigrer les bras valides vers le Nigéria et le Gabon, les aléas climatiques entamaient, pour leur part, la productivité des paysans, l’amenuisaient entièrement tandis que l’ensablement du lit du fleuve et le comblement des trous à poissons à cause des travaux de la SADEVO et de la SONIA entraînaient  une baisse drastique, voire une raréfaction des produits halieutiques. A tel point que Wémè s’est rabattu sur la consommation des mollusques appelés ‘’gbofan’’ et des fretins de maquereaux surgelés d’importation. Ainsi se trouve illustré le constat de Bernard CHARLERY DE LA MASSELIERE (2005, 130) lorsqu’il décrit la situation déplorable des laboureurs africains ; il les présente comme des « paysans affaiblis », « mal outillés, mal nourris, mal soignés » concentrant «leurs efforts sur les tâches les plus immédiatement nécessaires à la survie.» 

 Blasés et désabusés, les paysans Wémènous se concentrèrent sur la production de quelques cultures dont ils vendaient les récoltes dans les champs au lieu de les apporter dans les marchés. La demande accrue de denrées de toutes sortes par la ville de Porto-Novo, les centres d’échanges de Gbadagri et Lagos, amène les marchandes de ces localités à se porter vers leurs clientes tôt le matin des jours de marché pour rafler les récoltes ; ce manège dépeuple les marchés, les transformant en des marchés de nuits où on ne compte que quelques dizaines de personnes. Et faute de productivité animatrice des lieux d’échanges, la décrépitude avancée des marchés réputés a culminé à leur quasi-extinction ; beaucoup d'entre eux existent de nos jours comme des vestiges d’une prospérité éteinte. Enfin, comme si tout le passé était mauvais, l’Etat abandonne les palmeraies et  préfère attribuer l’occupation de l’huilerie de Gbada à une caserne militaire. Dépossédée ainsi et par la nature et par la nation, la région assiste impuissante à sa ruine.

Wémèxwé ou un sursaut de renaissance en sursis

  Le souvenir de la vitalité perdue de la région, le découpage territorial, la décentralisation et une envie du développement à la base poussent des natifs et originaires de la vallée à instituer une fête des retrouvailles appelée Wémèxwé. Fête annuelle et itinérante de chef-lieu de communes en chef-lieu, cette manifestation de grande envergure rassemble chaque année les fils et filles de la vallée en une communion festive pour se connaître davantage. Car c’est en se connaissant bien et en s’acceptant que les hommes peuvent collaborer ensemble.

  Le principe cardinal de cette foire foraine stipule que chaque Wémènou s’oblige à acheter un tissu-uniforme pour la fête. Un certain pourcentage de la somme recueillie de la vente du tissu servirait à réaliser une infrastructure communautaire dans la localité hôte de la fête. De la sorte, tous les quatre chefs-lieux de communes  bénéficient périodiquement de la visite des Wémènous et de l’érection d’une œuvre d’utilité publique et de développement à la base : modules de classes, laboratoires, bibliothèques, peaufinage de pistes de déserte, latrines publiques, réfection ou construction des hangars de marchés, etc. En outre, dans l’antichambre de la fête, les promoteurs créent une nouvelle association de développement ; elle viendrait en appui à la fête pour soutenir davantage le développement.  C’est là un engagement participatif à la renaissance de la région. Mais comme si, de façon atavique, les Wémènous étaient incapables de vivre ensemble, la fête commença à battre de l’aile, secouée de l’intérieur par la question du leadership et des accusations d’escroquerie. Une aile dissidente voit le jour qui donne du fil à retordre aux promoteurs originels, à telle enseigne que la dernière édition de 2018 fut chaotique. Il faut espérer que le bon sens et le patriotisme prévaudront pour la sauvegarde de l’intérêt de la région et une continuation, sur des bases saines, d'une activité vitrine aussi perspicace de la région.    

Les Wémènous, un matériel humain des politiciens 

Une région à étiquette d’opposition

 Pourtant, quelle espérance n’avait pas habité le cœur des Wémènous à l’avènement de la démocratie grâce à la Conférence Nationale Des Forces vives ! Mais ils devaient  déchanter très vite parce que la démocratie raffina le système électoral, en fit un appareil d'ascension et de promotion sociales d’individus portés et supportés par leurs frères, parents, régions et communautés de base. Cela devenait très compliqué pour le Wémènou de la vallée, velléitaire d’une percée politique parce qu'il ne pouvait pas réellement compter sur le soutien de sa région pour y parvenir, car, très hospitalière vis-à-vis de l’étranger, elle est capable de donner la primauté à l’étranger sur son fils ou sa fille. Les rares élus de la région peuvent  conter le prix de leur succès. Or, si l’on n’a pas un allié sur un pommier, on ne mange que des fruits verts.

   De ce point de vue, du Président Soglo au gouvernement de Kérékou II, la région était davantage oubliée, marginalisée, car en ayant, à chaque consultation électorale, voté pour un candidat autre que le vainqueur, elle s’était vue déclassée, étiquetée comme le fief de l’opposition. C’est à croire qu’une région peut constituer une opposition alors qu’elle n’est pas en sécession. Ne sont-ce plus des partis politiques qui peuvent former une opposition et s’exprimer à l’Assemblée pour la régulation de l’action gouvernementale? La démocratie est tout de même diversité, elle ne supporte pas l’unanimisme béat. Et un président élu n’est-il point le président de tout le pays ? Les rancunes et rancœurs des lendemains des élections étaient si fétides que la région en faisait malheureusement les frais à son corps défendant. Dans quelle partie du Bénin ne vote-t-on pas ‘’fils du terroir’’, quel qu’il soit ? Que fait-on de la libre expression en démocratie ? Que deviennent la liberté de pensée et celle du choix ? Il n’en a pas fallu autant pour que des régions sous d’autres cieux se séparent de la mère-patrie, car, pour paraphraser Montesquieu, lorsque l’on vit sous une sujétion qui ne rapporte rien, on est libre d’en secouer le joug. Mais qu'on se rassure, les Ouémènous sont une population pacifique, consciente qu’elle a son destin lié avec eux des autres régions de la nation ; elle n'embrassera pas, que dis-je, elle n’ira jamais à cette extrémité. Néanmoins, qu’a-t-elle gagné à l’ère de la démocratie ?

Les Wémènous, un matériel humain des champs électoraux

  En scrutant le bilan, la région n’a encore presque rien gagné de spécifique sous l'ère de la démocratie. La décentralisation qui lui a permis de bénéficier de quatre communes reste un acquis fondamental de tout le pays ; les maternités décentrées, les postes de police et de gendarmerie avancés se perçoivent en termes de nécessité pour l'Etat et de son devoir régalien.  Le bitumage improvisé et précaire de l’axe routier principal, qui traverse la vallée de part en part, s’est imposé à la nation comme un palliatif de circulation des personnes et des biens, afin de réaliser en toute quiétude l’asphaltage de la route inter-état Cotonou-Bohicon. Il n’est pas excessif de percevoir ce bitumage de fortune également comme  un appât jeté aux Wémènous par le président Yayi Boni en vue de sa réélection à la magistrature suprême du pays. C’est de la même manière qu’il orchestra une supercherie similaire en installant des embarcadères cà et là sur la rive droite du fleuve ouémé, au terme de son deuxième mandat, alors qu’il faisait campagne pour son dauphin Zinsou Lionel.

  De plus, commencée par l’action du combatif esprit communautaire insufflé par Kponou, l’électrification de la région s’est poursuivie cahin caha à la faveur des consultations électorales. De fait, des candidats à un poste de député ou de ministre réalisait une portion d’électrification comme une pré-promesse de campagne afin d’être élu. Mais dès qu’ils obtenaient leur poste, ils oubliaient la région jusqu’à l’édition suivante. Ouémè est l’éternel faiseur de chefs politiques étrangers. Ce penchant morbide en fait le dindon d’une farce grotesque dans laquelle elle est traitée comme un matériel humain, celui que l’on traîne sans vergogne dans les champs électoraux comme le dirait David Diop. On peut en conclure partiellement que, dans la démocratie, la région ouémè n’a bénéficié de rien encore. Et comme nous vivons encore dans ce système, on peut espérer que les choses changeront. Sous cet angle, que peut-on faire pour la vallée ?   

Les actions de revitalisation

  Que demande la vallée ? Une toute petite attention, car la région  ouémè est bien particulière au Bénin; elle en est manifestement l’une des plus riches. Elle peut recouvrer sa brillance d’autrefois. Il suffira de la revitaliser et non de clamer sa richesse comme un slogan creux sans lendemain.

La réhabilitation de la culture industrielle du palmier à huile

  En effet, la région wémè présente deux superficies arables : le plateau cultivable en toute saison et la plaine inondée, exploitable à l’étiage et très riche en limons fertilisants. La conjugaison des deux ou leur ensemencement simultané et/ou différé a rapporté dans le passé et rapportera beaucoup au Bénin. Son climat subtropical dont le niveau de pluviométrie est propice au palmier à huile reste une aubaine pour la remise en scelle de la culture industrielle de cette plante. Des experts diront ceci ou cela, mais regardez donc les palmeraies sauvages, cette belle robe verte qui embellit le paysage. On peut récriminer contre leur faible rentabilité. Le Dahomey n’avait-il jamais figuré parmi les pays exportateurs des produits du palmier à huile ? Quelle partie du pays fournissait la plus grande part des tonnages exportés ? D’où vient-il que subitement le Bénin en soit sorti? Il s’agira pour l’Etat de réhabiliter la culture industrielle de cette plante qui n’est pas uniquement de rente mais participe à  l’autosuffisance alimentaire à travers tous ses dérivées (La chanson del Rogo: Détin)

Un programme réfléchi de dragage du fleuve Wémé

  Si l’on ajoutait à cela un programme réfléchi de désensablement du lit du fleuve ouémé, le pays tout entier bénéficiera d’une importante quantité de produits halieutiques. Cette opération n’est pas synonyme du prélèvement artisanal et de la commercialisation du sable fluvial, transformant des pans de rive en carrières. L’action d’un tel agissement est non seulement sectorielle, qui ne touche pas à tout le lit du fleuve mais encore superficielle, parce qu’elle n’atteint pas la profondeur idéale souhaitée pour que les poissons aillent déposer leurs fraies. De plus, elle crée des profondeurs inégales du lit, capables de provoquer l’affaissement de la partie de rive agressée : on en voit le cas à hauteur du lieu dit Zéhounmita vers le village d’Afanmè. En revanche, le désensablement demandé est moderne avec des machines adéquates, général parce qu’il s’intéresse à tout le lit du fleuve. D’aucuns peuvent traiter ce souhait d’utopique à cause des 510 kms de long du fleuve. Mais ils doivent savoir que rien ne résiste à une volonté politique. La libération du lit de ce fleuve et son dragage apporteront beaucoup de bénéfices au Bénin. Ils permettront la reprise de l’existence des trous à poissons, des piscicultures naturelles très rentables pour tous. 

Une agriculture florissante

  Une profondeur raisonnable du lit du fleuve appelle de rapides grandes eaux et draine des limons très fertiles, propices à une agriculture florissante et variée de céréales, de produits maraîchers, de légumes, d’épices, d'arachides et de tubercules. Cette plaine inondée est en outre reconnue comme favorable à une riziculture incroyable dont témoignent les archives de la SADEVO et de la SONIA. De plus, l’agriculture peut être couplée avec un élevage de bovins, de porcins et de caprins en des races adaptées au milieu lacustre; il existe déjà de façon éparse mais remarquable dans des villages tels que Agonguè, Dannou, Gangban, Gogbo, Gbéko, Gbéssoumè, les deux Dêkins Hounhwè et Afyo, etc. Innombrables sont les bénéfices d’une telle organisation : hormis d’aider surtout à sortir les habitants de la pauvreté, ils appuieront la marche du pays vers le développement : la vallée peut donc contribuer à l’émergence économique du Bénin. Il ne serait pas juste, dans cet inventaire des atouts de la région Wémè, d'omettre certaines de ses potentialités dont l'exploitation aidera davantage le Bénin dans son combat pour le développement. 

D’autres potentialités à exploiter

   Il existe d’autres potentialités locales dont l’exploitation apportera un peu plus de visibilité et de vitalité à la vallée et, par ricochet, au Bénin. Il s’agit de la source thermale de Hêtin-Sôta et des manifestations culturelles d’un intérêt à la fois folklorique et touristique indéniable.

La source thermale de Hêtin-Sôta

  Découverte par les colons, la source thermale de Sôta est un point d’eau chaude dans une agglomération lacustre de plus de trois mille habitants privée bizarrement d’eau potable. Transparente et d’environ 50°C, cette eau est faiblement minéralisée. Un promoteur privé entreprit une fois de la rentabiliser, mais les heurts et les exigences de la population l’en avaient découragé. Aujourd’hui, la source est  laissée  à l’abandon,  malgré son importance  quasi identique à celle de Possotomè ; elle pourrait être mise en exploitation industrielle et curative.  

  Par ailleurs, la diversité des populations de Wémè cache une pluralité de cultures dont certains éléments saillants peuvent être revalorisés et exploités. On cite, entre autres, Koubibê des Djigbénous, Houndida des Galanous, Hounounhounoun des Hounhouènous d'Adjohoun et Agossi à Afanmè.

Koubibê, une fête de nouvel an des Djigbénous

  Koubibê est essentiellement une fête annuelle du nouvel haricot. Elle se tient au mois d’août pendant la récolte du légume ; c’est une fête rituelle et saisonnière du clan des Djigbénous. Ce groupe humain installé à Azowlissè, une bourgade de la vallée, possède des membres dans d’autres localités du Bénin, elles toutes portant le toponyme de Djigbé. A Azowlissè, leur vodun clanique et totémique s’appelle Kpovi, lié à une autre divinité appelée Bossikpon. Fils du grand chasseur Gbéto Baou, les Djigbénous ont pour activité nourricière l’agriculture et, particulièrement, la culture du haricot. Ils y ajoutent la chasse. A l’approche de la récolte ou cueillette du haricot, le prêtre du vodun, Kpovissi, disparaît mystérieusement de son logis pour se réfugier dans les bois. Il s’y entretiendrait avec l’esprit du vodun et pratiquerait la chasse. De vigoureux  hommes du clan le rejoignent au bout de quelques jours pour ramasser les prises de sa chasse. Rameaux de palme ceints autour de la taille et portant en hamac une abondante venaison, ils rentrent au village sous l’escorte des cris rauques et terrifiants de leur vodun. Pendant ce temps, les femmes installent des foyers improvisés çà et là dans le village et cuisent dans de grandes jarres le nouvel haricot. Une couronne de rameau de palme autour de la tête et un habit fruste du même rameau en rangées étagées, couvrant le buste de la gorge aux pieds, ces femmes cavalent à travers le village avec des cris, des chansons et des danses pendant que d’autres font cuir les produits de la chasse. Et durant de nombreux jours, toute la population et même des personnes étrangères au village communient à ce repas rituel ponctué tous les après-midis d’une exhibition de danses sacrées, exécutées par Kpovissi. Au terme de sept jours de ce théâtre rituel, Kpovissi procède à la purification du village. Chaque foyer balaie son lieu d’habitation à l’envers, c’est-à-dire de l’entrée vers l’intérieur (de l’aval à l’amont, dirait-on). Les balayures entassées sur la place du marché sont emportées par Kpovissi pour être  incinérées dans une décharge discrète. De retour du geste purificatoire, Kpovissi édicte et publie les comportements à observer tout au long de l’année afin de vivre en paix : koubibê est comme une fête du nouvel an.  

Houndida, un exemple d’ordalie purificatrice des Yolimènous

  Rite annuel, houndida doit être perçu essentiellement comme une ordalie purificatrice du clan des Yolimênous. Ce groupe humain a pour ancêtre Yali, l’un des sept fils de Togbo-Honsou, l’ancêtre mythique des Ouémènous.  

 En effet, à la décapitation de Yahassa par Dossou Agadja sur le plateau d’Abomey, les enfants de Togbo-Honsou s’enfuirent en se débandant. Dans leur cavale, chacun d’eux ou l'un des leurs prit le vodun à sa portée. Dansi Alanwou, la sœur de Yali, s’empara de la divinité Adanlien et traversa les marais vers les lieux dits Gbéko, Gbéssou, Agbanta et Lowé où elle établit avec les siens des bivouacs et un détachement de ses frères. Parvenue à Azowlissè, elle créa le quartier Yolimè, près du marché Oussa. Coupée du gros des siens, Dansi Alanwou dut instituer un pontife pour vodun Adanlien ; elle l’appela Adanlienclounon et l’investit du double pouvoir spirituel et temporel. Ayant accepté de donner sa fille en mariage au clan des Daévinous installé non loin des siens, elle leur imposa en échange de lui céder le fils aîné de sa fille pour être avocè, le porteur de la charge sacrée d’Adanlien. L’histoire en conclut que c’est depuis ce temps que les Daévinous s’obligent à accepter de faire consacrer l’un de leurs fils comme avocè d’Adanlien.

  Les Yolimènous observaient beaucoup de rites. L’un des plus spectaculaires et importants est l’exécution publique d’une ordalie de purification de leur groupe : il s’agit de Houndida. Cérémonie quinquennale, houndida avait lieu sur l’aire d’occupation du vodun, l’actuel parc automobile d’Azowlissè, sis à côté de la maternité. D’environ quatre cents mètres carrés de superficie, cette esplanade jouxtait la forêt sacrée qui abritait la panthère Nakézè, une autre divinité des Djigbénous. Au nord de cet espace se trouvait la case sacrée d’Adanlien tandis qu’au sud, le bosquet sacré de Gnanbodè, le véritable vodun totémique des Yolimènous. C’était dans ce petit bois insignifiant que les grandes tantes du groupe écoutaient la confession publique des femmes adultères du clan et procédaient à leur purification. Les hommes yolimènous, quant à eux, étaient soumis à houndida. Sur un foyer de trois grosses pierres, on déposait une grande jarre remplie d’eau. Dans le foyer, on entassait des bûches pour un feu fictif. A côté de cet attirail, ils étalaient des feuilles de bananier à même le sol. Tous les hommes du clan entouraient la jarre sur le foyer. Dès que l’eau commençait à bouillir, ils y jetaient de la farine de maïs, la malaxaient à mains nues pour la transformer en une pâte consistante; ils en prélevaient des boules qu’ils déposaient sur les feuilles de bananier. Tous les individus du clan consommaient cette pâte rituelle nappée d’une sauce appétissante. Si parmi les cuisiniers de la pâte, il se trouvait des individus qui avaient des méfaits à se reprocher vis-à-vis du clan ou de l’un quelconque des membres (faux témoignage, parjure, adultère avec une femme de la famille, tentative de meurtre d’un frère, cousin, neveu, bref, toute attitude répréhensible, etc.), ils s’ébouillantaient et leur bras se couvraient de pustules (des cloques) grosses comme des graines de haricot. Ils en mouraient : c’était l’ordalie publique ; il servait à la purification du clan.

Hounhoun ou Hounounhounoun

  Il existe dans la vallée des patrimoines d’indivisions claniques. Ces propriétés collectives sont mises à la disposition des chefs de phratries  pour jouir du fruit – récoltes, devises – rapporté par le système de taille librement consenti par les membres du clan, en vue de  subvenir aux besoins de subsistance des dirigeants choisis et dont la fonction sociale est incompatible avec tout travail manuel. L’une des propriétés indivises célèbres dans la région est hounhoun ou hounounhounoun, une rivière sacrée des Hounhwênous d'Adjonoun. On dit qu’elle abrite le vodun tutélaire de cette collectivité; Dah Zolanclounon en est le pontife. Une fois l’an, lors de la décrue qui permettait une pêche aisée et sans risques inutiles, le prêtre de hounhoun organisait des cérémonies rituelles sur les bords de cet important plan d’eau en présence de toutes les populations de la vallée. Au terme des libations et prières, on ouvrait la pêche libre pour la capture des poissons. Au cours de cet exercice, un accident ou un incident insolite pouvait survenir; on l'imputait légitimement à l'esprit de l'eau. C'était soit une mort d'homme, soit une blessure grave.  Ahurissante était cette scène de pêcherie collective où une foule nombreuse envahissait le plan d’eau. Ces pêcheurs souvent improvisés œuvraient côte à côte, serrés comme des sardines dans une boîte, et pourtant, ils parvenaient à pêcher. Comment ne pas penser à ressusciter cette journée d’euphorie collective au cours de laquelle une sorte de folie du gain s’emparait de toutes les populations de la vallée : elle ouvrait la pêche sur le grand fleuve.

  Enfin, il faut entendre parler des prouesses des prêtresses d’Agossi à Afanmê pour vous convaincre que la vallée regorge de mystères d’attraction touristique. Il importe de les confier aux directions départementales de la culture, du patrimoine et du tourisme, en vue d’un programme de retour aux sources pour leur revalorisation. La vallée, le Bénin et le monde en jouiront dans l’actuel contexte de globalisation et de mondialisation. A quelles conditions cette revitalisation pourra-t-elle se faire ?

Conclusion

 La vie des populations de la vallée est organisée autour du grand fleuve et de ses cycles. Il est rare que des riverains lacustres soient propriétaires de terres sur le plateau ; en revanche, certains habitants de la terre ferme en possèdent dans la plaine inondée : ils en deviennent des agriculteurs de toutes les saisons et peuvent faire plusieurs récoltes  de divers produits dans l’année. Néanmoins, morcelées en de petites portions, ces espaces de quelques arpents ne permettent le plus souvent qu'une agriculture de subsistance; elle ne rapporte que peu de devises au paysan. Un constat similaire se fait également sur les terres du plateau. Pour y remédier, on devra procéder à une réforme agraire dans toute la région.

 En effet, le système foncier est tributaire du patrilignage. La succession se faisant de père en fils, on assiste à un morcellement outrancier des terres. Au règlement de l’héritage foncier, la propriété est d’abord divisée en deux parts dont l'une revient en priorité à l'aîné, selon le droit d'aînesse. La moitié restante est ensuite divisée par le nombre des enfants mâles ; l’aîné en prend encore une part. Il s’ensuit que la superficie qui échoit à chacun ne dépasse pas le plus souvent un ou deux hectares. Imaginez ce que deviennent ces domaines si le nouveau propriétaire possède cinq ou six enfants héritiers, ils reçoivent en héritage moins d’un hectare. Que peut-on cultiver de consistant sur une aussi petite superficie ? Aussi, convient-il que l’Etat immatricule les terres, donne à chaque propriétaire son titre de possession. Cela permettra de mettre ensemble des étendues arables, afin de constituer de grandes exploitations propices à une agriculture extensive. Les petits propriétaires recevront des droits de louage de leurs terres en même temps qu’ils pourront y travailler en qualité d’ouvriers agricoles. Une telle réforme ramènera la culture du palmier à huile, permettra l’installation d’usines de traitement des produits de cette plante. Des personnes d’une certaine génération ont vu des champs entiers et à perte de vue de caféiers. Cette plante pourrait faire son retour dans la vallée. Cependant, pour la réussite de ce programme, on devra prendre une loi d’interdiction de la vente des terres, surtout à des étrangers. Une étude pédologique pourra être réalisée afin d’ajouter de nouvelles cultures à celles traditionnellement connues dans la région.

 La renaissance des grands marchés garantit la vitalité économique de la région. La chance de la vallée réside dans ces quatre communes dont la juridiction territoriale n’est que de papier, dans une moindre mesure. Une conjugaison des efforts par les élus locaux peut aider à résoudre beaucoup de problèmes. Ainsi, la réhabilitation des marchés passe par la réfection des hangars et la construction de nouveaux abris, l’incitation des paysans à vendre leurs productions dans le marché et non dans les champs, le respect des heures d’animation des marchés et l’interdiction aux commerçantes étrangères de se porter aux domiciles de leurs clientes tôt le matin, ce qui ressemble à un arraisonnement de la marchande et à un désir d’extinction du marché, car un marché qui ne s’anime pas régulièrement meurt.     

Un autre aspect du train des mesures concerne la culture. Agressée par l’exode rural, l’intellectualisme envahissant des villes, la mondialisation et la globalisation, une grande partie de la culture s’est étiolée et a disparu. Pourtant, elle renferme des atouts touristiques indéniables par le folklore qu’elle véhicule. Il importe donc que l’on organise une recension et une collecte systématiques de ses patrimoines moribonds afin de les aider à s’insérer dans les nouvelles valeurs universelles. Il y va de la conquête du respect que les autres nous doivent en tant que peuple à l’identité distincte.

Enfin, il faudra mettre les jeunes au travail. Ils ne travaillent pas assez, occupés à rêver d’un ailleurs ou d’un filon de gains faciles. Un tel penchant diminue l’apport de la vallée à la volonté d’émergence du Bénin, et pourtant, avec ses potentialités, Ouémè peut contribuer de beaucoup à cette émergence.

Publié dans Opinion politique

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